Page:Les Soirées de Médan.djvu/83

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Des petits points de feu parurent en avant sur la route. C’était Tôtes. On avait marché onze heures, ce qui, avec les deux heures de repos laissées en quatre fois aux chevaux pour manger l’avoine et souffler, faisait quatorze. On entra dans le bourg et devant l’Hôtel du Commerce on s’arrêta.

La portière s’ouvrit ! Un bruit bien connu fit tressaillir tous les voyageurs ; c’étaient les heurts d’un fourreau de sabre sur le sol. Aussitôt la voix d’un Allemand cria quelque chose.

Bien que la diligence fût immobile personne ne descendait, comme si l’on se fût attendu à être massacré à la sortie. Alors le conducteur apparut tenant à la main une de ses lanternes qui éclaira subitement jusqu’au fond de la voiture les deux rangs de têtes effarées, dont les bouches étaient ouvertes et les yeux écarquillés de surprise et d’épouvante.

À côté du cocher se tenait, en pleine lumière, un officier allemand, un grand jeune homme excessivement mince et blond, serré dans son uniforme comme une fille en son corset, et portant sur le côté sa casquette plate et cirée qui le faisait ressembler au chasseur d’un hôtel anglais. Sa moustache démesurée, à longs poils droits, s’amincissant indéfiniment de chaque côté et terminée par un seul fil blond si mince qu’on n’en apercevait pas la fin, semblait peser sur les coins de sa bouche, et, tirant la joue, imprimait aux lèvres un pli tombant.

Il invita en français d’Alsacien les voyageurs à sortir, disant d’un ton raide : — « Foulez-fous tescentre, messieurs et tames ? »

Les deux bonnes sœurs obéirent les premières avec une docilité de saintes filles habituées à toutes les