Page:Les Souspirs amoureux de François Beroalde de Verville 1606.pdf/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
7
AMOUREUX

Et puis changeant de front vous ne le voulez pas.


IX



Mes yeux ne sont plus yeux, leur essence est changee
En ruisseaux eternels pour plorer mon malheur,
Et mon sang n’est plus sang, mais las ! cette froideur
Qui c’est presque desja de moy toute escoulee.

Ma vie n’est plus rien que cette humeur gelee,
Qui esteint mes esprits & la douce chaleur
Dont jadis je vivois s’esloignant de mon cœur
Me laissant un vain corps, de moy s’est envolee.

Las je ne fusse plus n’eust esté qu’en mon ame,
Vos yeux ont ralumé un peu de cette flame
Dont les heureux effects me font vivre icy bas.

Et si quelque pitié ne vous touche maistresse
Pour en user sur moy, au malheur qui me presse
Il me faudra tomber sous l’effort du trespas.


X.



Sot Democrit, si jamais en ton ame
Amour eut mis de ses graces le trait,
Tu n’eusses dit que de Rien Rien se fait,
Veu qu’un rien cree & ma glace & ma flame.

Qu’ainsi ne soit des beaux yeux de Madame
Un rien sortant, met en braise mon cœur,
Et mon cerveau fait voguer sur l’humeur
Du froid glaçon de l’amour qui m’enflame.

Jà se meslant avec ses qualitez
Mille autres riens, par leurs diversitez,
Prennent en moy une forme seconde.

Qui alterant mon esprit & mon corps,
Dessous la loy de leurs riches accords,
Mon font changer en un amoureux monde.