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DIX-SEPTIÈME AVENTURE.

prononcées, Tybert ralentit le pas ; il s’arrête même, en prenant soin toutefois de bien préparer ses ongles. Pour Renart, épuisé de faim et de fatigue, il étoit encore moins disposé que la veille à engager une lutte ouverte. « En vérité, mon cher Tybert, » dit-il, « le monde est bien méchant : on n’y connoît plus de charité ; on ne songe qu’à tromper les autres, comme si la mauvaise foi n’étoit pas toujours punie. Je vous dis cela pour ce grand sermonneur, le compère Isengrin, qui tout nouvellement est entré dans les Ordres : j’apprends qu’il vient d’être surpris par celui qu’il vouloit prendre, et son exemple m’a fait ouvrir les yeux. Je ne veux pas être traité comme lui ; jamais les méchans n’ont fait une bonne fin, et je sais trop bien, d’ailleurs, ce qu’il en coûte de ne pas avoir de véritable ami. Vous, par exemple, Tybert, pour qui j’ai toujours ressenti une affection particulière, quand vous m’avez cru mort, vous avez décampé. Non que vous ayez ri de mon malheur ; je ferois mauvais parti à qui vous en accuseroit, puisqu’il y avoit entre nous foi jurée ; mais, dites-moi bien la vérité, cher Tybert : vous avez eu, n’est-ce pas, un grand chagrin de cœur en me voyant arrêté dans le piége, quand les chiens s’attachoient à mes flancs et que le vilain levoit sur moi sa coignée ? Il croyoit me