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YSENGRIN DANS LE PUITS.

Il eût été de ceux qui furent pris devant la cité d’Alep[1] qu’il n’eût pas été plus confus et plus désespéré. Vainement essaie-t-il de remonter, la corde glisse entre ses bras, et tout ce qu’il peut faire c’est, grace au seau qui l’a descendu, de conserver la tête au-dessus de l’eau glacée dans laquelle le reste de son corps est plongé.

Ainsi passa toute la nuit, pour lui si longue et si cruelle. Voyons maintenant ce qu’on faisoit dans le couvent. Apparemment les Blancs moines avoient trop salé les fèves crevées dont ils avoient souppé la veille, car ils se reveillèrent fort tard. Après avoir ronflé comme des tuyaux d’orgue, ces généreux sergens de Jesus-Christ sortirent enfin de leur lit et demandèrent à boire. Le cuisinier, gardien des provisions, envoya sur-le-champ à la cave et voulut bien aller lui-même au puits accompagné de trois frères et d’un gros âne d’Espagne qu’ils attachèrent à la corde. Le loup eut soin alors de se maintenir sur l’eau. L’âne commence à tirer ; mais il n’a pas assez de toutes ses forces pour soulever le poids que le puits lui oppose. Les Frères le frappent, les coups sont

  1. Allusion aux combats livrés en 1146 dans la campagne d’Alep, et à la reprise d’Édesse par Noureddin, sur Jocelin de Courtenay. Voyez les historiens des Croisades.