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RENART ET LA MEULE DE FOIN.

la rivière gonflée avoit couvert la prairie et que le meulon aussitôt envahi avoit été soulevé et déjà porté loin de sa première place. « Ah ! qu’ai-je fait, » s’écria-t-il, « et que vais-je devenir ! Pourquoi n’avoir pas regagné Maupertuis quand rien ne m’étoit plus facile ! Maintenant la rive est à perte de vue ; si je m’élance je me noie, si je reste, les vilains vont arriver sans doute, et comment défendre contre eux ma pelisse ? »

Comme il en étoit à ces tristes réflexions, voilà qu’un vilain faisant agir une barque s’approche de la meule. Il n’eut pas de peine à reconnoitre damp Renart : « Quelle aubaine, mon bon saint Julien ! » dit-il, « c’est un magnifique goupil ; quel dos, quelle superbe encolure ! Tachons de l’attraper, la chose en vaut bien assurément la peine : j’en vendrai le dos, la gorge me servira pour engouler mon manteau ; puis une fois écorché, la rivière me débarrassera de sa puante charogne. »

De ce que fol pense, moult demeure, dit le proverbe. La chose n’ira pas comme entend notre vilain. Il arrive jusqu’à la meule, et d’abord il tend les bras vers Renart qui lui echappe. Il lève son aviron, l’autre fait un demi-tour et le coup ne l’atteint pas. Le vilain tourne et revient, mais il n’en est pas plus avancé. Il prend alors le parti de sortir de sa