cas rare, frappés d’un coup de sang ou d’un coup de vin, ces braves s’éteignent plus communément sous les drapeaux.
Le cocher de tenture qui, tout bien considéré, n’est qu’une variété assez insignifiante du croque-mort proprement dit, a pour mission spéciale de prêter la main aux tapissiers, et de transporter les objets qui servent à décorer la porte de la maison mortuaire. C’est du reste un fort mauvais farceur que rien ne recommande, et qui pratique une supercherie dont vous me voyez encore tout scandalisé. Quand sa besogne est achevée, il monte chez le trépassé, et d’un air sentimental, tout en glissant adroitement la demande de son pour-boire, il prie la famille de lui donner n’importe quoi, pour aller chercher l’eau bénite nécessaire ; mais au lieu d’aller à la paroisse, l’effronté s’en va tout simplement se rafraîchir chez un marchand de vin, où tandis qu’il s’ingurgite un demi-setier, il remplit le vase à la fontaine. « Eau filtrée ou eau bénite, se dit-il, qu’est-ce que cela fiche !... les morts ne se plaignent point ! » - Cela est très-vrai, mon garçon, mais ils n’en sont pas moins floués.
Ce personnage qui marche en arbalète devant le char, et qui porte une écharpe en ceinture, un chapeau à corne, le frac noir, les petits ou les gros souliers (autrefois les bottes en cœur), le fin ou le gros pantalon (parfois le parapluie), c’est le commissaire des morts, ou plutôt M. l’Ordonnateur !!! Comme il s’imagine représenter M. le maire, qui n’a pas le temps de venir, et doubler M. l’ordonnateur général, le drôle n’est pas sans quelque penchant à la suffisance et ne serait pas éloigné de prendre sa canne ornée d’une urne cinéraire, pour un sceptre, et de se prendre lui-même pour une majesté. Quelques-uns cependant ont des mœurs plus terrestres, et sans grand souci pour leur blason, trinquent avec les officiers de l’église ou les cochers, et lichent très-volontiers le canon sur le comptoir. - Pour faire un ordonnateur ou commissaire des morts, la préfecture, car c’est elle qui les fournit, prend d’ordinaire son candidat parmi les journalistes incorruptibles, ou les préfets tombés en deliquium
Quand survient un mort de première classe, ou du moins de bonne qualité, messieurs les hauts employés des bureaux quittent brusquement la plume pour l’épée, l’habit râpé du commis pour le pourpoint et le mantelet, le chapeau rond pour les panaches, et se transforment tout à coup en ce noble et imposant personnage, dont voici un crayon délicieux et fidèle de notre cher Henri Monnier.