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Page:Les français peints par eux-mêmes, Tome II, 1840.djvu/170

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de Dieu et sous la conduite de Jean-Pierre, voiturier, nous avons l’honneur de vous faire passer la dépouille mortelle de M. le comte de ***, à raison de 5 francs les cent kilogrammes, prix convenu. » - « Ah ! je sais, » fit alors mon noble ami, c’est feu mon respectable père qu’on me renvoie. » Puis, se tournant de mon côté, « Tu es bien heureux, mon cher, d’être orphelin, » me dit-il avec un sourire aimable, « ces gueux de parents, ça vous ruine ! ça n’en finit pas !... » - Au Père La Chaise, sur la simple présentation d’une lettre de voiture, ou l’estampille de la douane, le conservateur reçoit les morts à bras ouverts ; mais si par hasard leurs papiers ne sont pas en règle, s’ils ont perdu leur passe-port, on les traite de vagabonds et de républicains, et ils courent grand risque de coucher au corps-de-garde.

18, rue Saint-Marc-Feydeau, il existe aussi depuis quelques années, sous le titre de Compagnie des Sépultures, une magnifique succursale de la grande entreprise du faubourg Saint-Denis. Cet établissement est vraiment si rempli de commodités, que nous ne saurions le passer sous silence sans une criante injustice. Avez-vous fait une perte, allez là : moyennant une faible reconnaissance, on s’y charge de tout régler et de tout ordonner, depuis A jusqu’à Z, avec l’église comme avec les Pompes, y compris les distributions de vos aumônes ; si bien qu’une fois votre commande faite, vous n’avez plus à vous occuper du défunt, pas plus que s’il n’existait pas, et vous pouvez partir tranquillement pour les courses de Chantilly ou pour le couronnement de la reine d’Angleterre ou de la rosière de Bercy. - Joint à cet établissement, ajoutez, s’il vous plaît, qu’il y a, pour le plus grand agrément du visiteur, une exposition perpétuelle de petits sépulcres, de petits jardins funèbres, de tombeaux grands comme la main, d’urnes imperceptibles, de cercueils portatifs, le tout à prix fixe et dans le dernier goût. C’est à vous de choisir parmi tous ces ravissants échantillons. Voudriez-vous par hasard faire embaumer l’objet de vos regrets éternels ? On vous présentera une jeune fille, un canard et un poulet injectés depuis trois ans par M. Gannal, encore aussi frais et aussi appétissants que s’ils sortaient de chez le marchand de comestibles.

Cette compagnie, ainsi que MM. les marbriers et tous les ouvriers des cimetières, nourrit au dehors une multitude de courtiers et de drogmans (le nombre en est dit-on, formidable), qui, toujours à la piste des moribonds, des valétudinaires et des morts, aussitôt que vous êtes enrhumé, ou que vous avez rendu l’âme, se précipitent à votre porte, où par jalousie de métier souvent ils se livrent de sanglants combats et périssent. - Quelquefois ces industriels, poussent l’adresse et la sollicitude jusqu’à graisser la patte du portier pour qu’il les vienne avertir dès que le malade aura tourné l’oeil et favorise leur introduction, à l’exclusion de tout autre. - « Madame, un monsieur tout en noir et qui paraît prendre une part bien vive à votre deuil, demande à être conduit auprès de vous. » - L’inconnu entre d’un air pénétré et le mouchoir à la main. - La dame s’incline et fait signe à l’homme attendri de s’asseoir. - « Vous avez fait une grande perte, madame. » - Oui, monsieur, bien grande. - Bien douloureuse. - Oui, bien douloureuse, et dont je ne saurai jamais me consoler. - Madame, que souvent le destin est cruel ! - Vous êtes bien bon, monsieur, de m’apporter quelques douces paroles ; mais je crois n’avoir