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Page:Les français peints par eux-mêmes, Tome II, 1840.djvu/172

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philosophie ! qui seul derrière un corbillard suivait les restes de sa défunte adorée, et fumait tranquillement sa pipe.

Il va sans dire que ce sont les croque-morts de la métropole que nous avons pris pour type et archétype. Ceux des provinces varient à l’infini, mais au demeurant, ils ne sont toujours pas des provinciaux. J’en ai rencontré dans quelques villes qui ressemblent assez par le costume à des marchands arméniens d’Archangel, et d’autres qui m’ont paru un assez heureux mélange du charbonnier et du rabbin. - L’usage des chars, qui fait dire au peuple de Paris : « En tout cas, nous sommes sûrs de ne pas nous en aller à pied » ; ou « viendra un jour où, ventrebleu ! à notre tour aussi nous éclabousserons !... » n’est pas généralement adopté et ne le sera pas de sitôt sans doute. Beaucoup de villes regardent encore ce mode de transport funèbre comme un véritable sacrilége, et il n’y a pas fort longtemps même qu’à Moulins la populace a jeté dans l’Allier, un malencontreux corbillard qui avait osé se montrer par la ville.

La gaieté qui règne chez nos aimables vaudevillistes du faubourg, tout héliogabalique, toute sardanapalesque, tout exorbitante qu’elle a pu vous sembler, est bien déchue cependant de son antique splendeur. Hélas ! ce n’est plus que l’ombre d’elle-même. Il fallait voir avec quelle magnificence inouïe se célébrait autrefois le jour des Morts. Le jour des Morts, c’est la fête des Pompes, c’est le carnaval du croque-mort ! Qu’il semblait court ce lendemain de la Toussaint, mais qu’il était brillant !... Dès le matin toute la corporation se réunissait en habit neuf, et tandis que MM. les fermiers dans le deuil le plus galant, avec leur crispin jeté négligemment sur l’épaule, répandaient leurs libéralités, les verres et les brocs circulant, on vidait sur le pouce une feuillette. Puis un héraut ayant sonné le boute-selle, on se précipitait dans les équipages, on partait ventre à terre, au triple galop, et l’on gagnait bientôt le Feu d’Enfer, guinguette en grande renommée dans le bon temps. Là dans un jardin solitaire, sous un magnifique catafalque, une table immense se trouvait dressée (la nappe était noire et semée de larmes d’argent et d’ossements brodés en sautoir), et chacun aussitôt prenait place. - On servait la soupe dans un cénotaphe, - la salade dans un sarcophage, - les anchois dans des cercueils ! - On se couchait sur des tombes, - on s’asseyait sur des cippes ; - les coupes étaient des urnes, - on buvait des bières de toutes sortes ; - on mangeait des crèpes, et sous le nom de gelatines moulées sur nature, d’embryons à la béchamelle, de capilotades d’orphelins, de civets de vieillards, de suprêmes de cuirassiers, on avalait les mets les plus délicats et les plus somptueux. - Tout était à profusion et en diffusion ! - Tout était servi par montagne ! - Au prix de cela les noces de Gamache ne furent que du carême, et la kermesse de Rubens n’est qu’une scène désolée. - Les esprits s’animant et s’exaltant de plus en plus, et du choc jaillissant mille étincelles, les plaisanteries débordaient enfin de toutes parts, - les bons mots pleuvaient à verse, - les vaudevilles s’enfantaient par ventrée. - On chantait, on criait, on portait des santés aux défunts, des toasts à la Mort, et bientôt se déchaînait l’orgie la plus ébouriffante, l’orgie la plus échevelée. Tout était culbuté ! tout était saccagé ! tout était ravagé ! tout était pêle-mêle ! On eût dit une