Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

décoraient les appartements et dont il s’est conservé un grand nombre par toute la ville. Cette mode fut tellement en faveur pendant nombre d’années que les meilleurs peintres ne rougissaient pas d’enrichir de leurs peintures et de dorer de pareils objets, besogne dont bien des artistes d’aujourd’hui rougiraient. Et pour prouver la vérité de ce que j’avance, je dirai qu’on a vu jusqu’à notre époque des coffres, des sièges et des corniches, dans les appartements de Laurent le Magnifique, sur lesquels avaient été représentés, par la main des artistes les plus illustres et avec un art merveilleux, les joutes, les tournois, les chasses, les fêtes et autres spectacles de son temps.

Dello, étant donc passé maître dans ce genre, ne fut occupé pendant plusieurs années qu’à peindre des coffres, des sièges, des lits et autres meubles. On peut dire que c’était son unique profession, et il en tira honneur et profit.

Il peignit, en autre choses, pour Giovanni de’ Medici, un ameublement complet, qui fut estimé chose rare et vraiment belle, comme on peut s’en assurer par ce qui en reste. On dit qu’il fut aidé par Donatello, encore très jeune, qui modela, en stuc, en plâtre et en brique écrasée, divers sujets et ornements en relief, qui furent ensuite dorés et relevèrent admirablement les peintures.

Il peignit à fresque et en camaïeu un coin du cloître de Santa Maria Novella, où il représenta Isaac donnant sa bénédiction à Esaü[1]. Peu de temps après, il alla en Espagne et se mit au service du roi ; il obtint un crédit qui dépassa tout ce qu’un artiste pourrait désirer. Bien qu’on ne sache pas exactement, quelles œuvres il produisit[2], elles durent être fort belles, car il revint dans sa patrie comblé d’honneurs et de richesses. Il lui prit, en effet, fantaisie, au bout de quelques années, et ayant été royalement récompensé de ses peines, de revenir à Florence, pour montrer à ses amis comment, d’une extrême pauvreté, il avait su arriver à une grande opulence. Etant allé demander congé au roi, non seulement ce prince le lui accorda, mais encore, pour lui témoigner plus vivement sa gratitude, il le nomma chevalier.

De retour à Florence, il se vit refuser la confirmation de ses privilèges, par suite des intrigues de Filippo Spano degli Scolari, qui revint à cette époque[3] victorieux de la guerre des Turcs, comme grand sénéchal du roi de Hongrie. Dello écrivit en Espagne, se plaignant de cette injure

  1. Côté ouest du Chiostro Verde, première fresque. Dello peignit les côtés sud et ouest de ce cloître. (Fresques très altérées.)
  2. Il ne reste rien de lui en Espagne ; il signait Dello eques florentinus.
  3. Il ne revient qu’une fois à Florence, en 1410.