Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/145

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nance, peuvent être appelés des artistes pleins de talent et de jugement. Après y avoir longuement pensé, il s’appliqua à réunir dans ses peintures la variété et l’originalité des perspectives, des édifices et des paysages, l’élégante manière de draper les figures, leur disposition, tantôt allant en se perdant dans les ombres, tantôt venant plus avant dans les parties éclairées, la beauté et la vivacité des têtes chez les femmes, les enfants, les jeunes gens et les vieillards, enfin à leur donner, selon le besoin, le mouvement et l’énergie nécessaires. Il sentit encore combien est important l’art de peindre avec vérité la fuite des chevaux dans les batailles et la férocité des soldats, de savoir rendre toutes sortes d’animaux, et surtout de peindre les portraits si ressemblants qu’ils paraissent vivants et que l’on puisse reconnaître pour qui ils sont faits. Il étudia avec soin comment sont faits les vêtements, les chaussures, les armures, les coiffures de femme, les cheveux, les barbes, les vases, les arbres, les cavernes, les rochers, les feux, l’air troublé ou calme, les nuages, les pluies, la foudre, le temps serein, la nuit, les clairs de lune, les effets de soleil et beaucoup d’autres choses dont on a constamment besoin dans l’art de la peinture. D’après toutes ces considérations, Raphaël, ne pouvant égaler Michel-Ange dans la partie qu’il avait entreprise, résolut de chercher à l’égaler et peut-être à le surpasser autre part. Il se mit donc, non pas à imiter la manière de celui-ci, pour ne pas perdre inutilement son temps, mais à travailler de façon à devenir parfait dans les autres parties que nous avons énumérées. Si l’on avait vu agir ainsi quantité d’artistes de notre époque, qui, pour n’avoir voulu s’inspirer que des œuvres de Michel-Ange, ne sont pas arrivés à l’imiter, ni à atteindre à tant de perfection, ils n’auraient pas peiné en vain, ni produit cette manière si dure, toute pleine de difiBcultés, sans charme, sans coloris et pauvre d’invention que nous voyons à présent. Ils auraient pu, au contraire, en cherchant à être universels et à imiter ses autres qualités, être de la plus grande utilité au monde autant qu’à eux-mêmes. Ayant reconnu que Fra Bartolommeo de San Marco avait un bon procédé de peinture, un dessin correct et une couleur agréable, quoiqu’il employât quelquefois trop de teintes obscures pour donner un plus grand relief à ses figures, il lui emprunta tout ce qui lui parut pouvoir lui servir et être conforme à ses idées, c’est à dire une manière mixte tant pour le dessin que pour le coloris ; en y mêlant des qualités puisées dans les belles œuvres d’autres maîtres, de plusieurs manières, il s’en créa une que l’on considéra ensuite toujours comme étant la sienne propre et qui a été et qui sera toujours infiniment admirée de tous les artistes. Cette manière se montre parfaite