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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/15

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menant par la main un enfant qui pleure en montrant à sa mère avec des gestes pleins de grâce et de naturel, une épine qui lui est entrée dans le pied. Andrea eut une attention remarquable dans cette peinture ; ayant situé le plan sur lequel posent ses figures plus haut que l’œil du spectateur, il eut soin de poser les pieds des premiers personnages sur la première ligne du plan, et de faire fuir peu à peu et disparaître, autant que le demandait le point de vue qu’il avait adopté, les pieds et les jambes des personnages qui se trouvaient derrière ceux qui occupaient le plan le plus avancé. Il fit de même pour les vases et les autres ornements et instruments dont on n’aperçoit que le dessous. Cette œuvre donna à son auteur un telle renommée que le pape Innocent VIII, ayant appris l’excellence de ce peintre et les autres bonnes qualités dont il était merveilleusement doué, envoya vers lui, pour lui faire décorer de ses peintures, comme il faisait faire à plusieurs autres peintres, le bâtiment du Belvédère qui venait d’être terminé.

Andrea étant donc allé à Rome[1] où il fut fortement recommandé par le marquis qui, pour l’honorer davantage, le nomma chevalier, fut reçu avec beaucoup d’amitié par le pape, qui de suite lui donna à peindre une petite chapelle[2], dont il exécuta les peintures avec tant de soin, que les murs et la voûte semblent couverts de miniatures plutôt que de peintures. Les plus grandes figures, faites à fresque comme le reste, sont au-dessus de l’autel et représentent saint Jean, baptisant le Christ, au milieu d’une foule de gens qui, se déshabillant, paraissent vouloir se faire baptiser. Entre autres, on en voit un qui, voulant tirer ses chausses collées à ses jambes par la sueur, les retourne et montre l’effort qu’il fait par l’expression de son visage et tout le mouvement de son corps. On raconte que le pape, à cause des nombreux travaux qu’il avait entrepris, ne donnait pas d’argent à Andrea, aussi souvent que celui-ci en aurait eu besoin. C’est pourquoi Andrea peignant dans cette œuvre et en camaïeu quelques Vertus, mit parmi celles-ci la Discrétion. Le pape, étant allé un jour voir le travail produit, lui demanda qu’elle était cette figure, et Andrea répondit : C’est la Discrétion.» Le pape ajouta alors : « Si tu veux qu’elle soit bien accompagnée, mets-y à côté la Patience. » Le peintre comprit ce que voulait dire le Saint Père et ne souffla plus mot. Le travail terminé, le pape

  1. En 1488.
  2. Détruite par Pie VI, quand on construisit le Braccio Nuovo du musée du Vatican.