Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/271

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

allé à Rome[1], il fut employé par Agostino ; la première œuvre que celui-ci lui fit faire, dans son palais du Transtévère, furent les petits arceaux de la loggia donnant sur le jardin, et dont toute la voûte avait été peinte par Baldassare Peruzzi. Il y exécuta plusieurs sujets poétiques, dans le style qu’il avait apporté de Venise, bien différent de celui que suivaient à Rome les artistes renommés du temps. Ensuite, à côté de la fresque de Galathée, peinte par Raphaël dans le même endroit, il peignit un Polyphème[2], où il chercha à se surpasser, vivement aiguillonné par le voisinage des peintures de Baldassare et de Raphaël. Il exécuta pareillement quelques peintures à l’huile[3], qui lui attirèrent à Rome une grande renommée par leur coloris moelleux, qu’il tenait de Giorgione.

Pendant qu’il travaillait à ces œuvres, Raphaël d’Urbin avait acquis un tel crédit en peinture, que ses admirateurs et ses amis déclaraient que ses peintures étaient plus conformes aux règles de l’art que celles de Michel-Ange, plus délicates de couleur, plus belles d’invention, plus gracieuses, plus justes de dessin, qualités, disaient-ils, qu’on ne rencontrait pas chez Michel-Ange, hors le dessin. Ils jugeaient en conséquence que Raphaël, s’il ne lui était pas supérieur en peinture, était au moins son égal ; mais que, de toute manière, il le surpassait en coloris. Cette opinion, partagée par beaucoup d’artistes, à qui la grâce de Raphaël était plus accessible que la profondeur de Michel-Ange, faisait que, par suite d’intérêts particuliers, on était plus favorable à Raphaël qu’à Michel-Ange. Sebastiano qui, doué d’un tact exquis, appréciait exactement le mérite des deux, ne suivit pas l’opinion générale, et se rendit ainsi favorable Michel-Ange, à qui plaisaient beaucoup la grâce et le coloris de ses œuvres ; il imagina que, s’il prêtait à Sebastiano l’aide de son dessin, il arriverait par ce moyen, et sans se mettre en avant, à battre ses détracteurs, et que, caché sous l’ombre d’un tiers, il deviendrait juge du combat. Plusieurs des productions de Sebastiano ayant été favorablement accueillies, grâce à leur propre mérite et aux éloges que leur donna Michel-Ange, un habitant de Viterbe, très en crédit auprès du pape, et dont j’ignore le nom, lui fit faire un Christ mort pleuré par la Vierge[4], pour une chapelle qu’il avait fait construire dans l’église de San Francesco de Viterbe. Bien que ce tableau fût soigneusement terminé par Sebastiano, qui y fit un

  1. En 1512.
  2. N’existe plus.
  3. Entre autres le tableau de la Fornarina (1512), aux Offices.
  4. En place.