Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 02.djvu/406

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devait l’introduire devant le pape, et ils allèrent ensemble à Bologne où celui-ci était déjà arrivé de Rome[1]. On raconte aussi d’une autre manière le départ de Michel-Ange de Rome : le pape se serait fâché contre l’artiste qui ne voulait lui laisser voir aucune des œuvres auxquelles il travaillait, et qui soupçonnait le pape de s’introduire furtivement chez lui, pendant qu’il n’était pas à son travail, pour voir ce qu’il faisait. On dit même qu’un jour, le pape, ayant corrompu des apprentis de Michel-Ange, pour pouvoir pénétrer dans la chapelle du pape Sixte, son oncle, qu’il lui faisait peindre, Michel-Ange se cacha, parce qu’il se doutait de la trahison des siens, empêcha le pape d’entrer dans la chapelle, en ferma la porte, et le força ainsi, ne se doutant pas que c’était lui, à s’en retourner tout en colère. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’il eut des contestations avec le pape, et qu’il dut ensuite s’enfuir, croyant n’être pas en sûreté. Il n’était pas arrivé à Bologne, et à peine débotté, que des familiers du pape vinrent le chercher et l’amenèrent devant Sa Sainteté, qui était dans le palais des Seize, en compagnie d’un évêque de la suite du cardinal Soderini, car ce cardinal, étant malade, n’avait pu se rendre au palais. Arrivé devant Jules II, Michel-Ange se mit à genoux, et le pape, le regardant de travers, comme indigné, lui dit : « Au lieu de venir auprès de nous, tu as attendu que nous allions te chercher ! » voulant dire que Bologne était plus près de Florence que Rome. Michel-Ange, en s’inclinant, mais à haute voix, lui demanda humblement pardon, disant qu’il avait agi par emportement, ne pouvant supporter d’avoir été chassé, mais que, puisqu'il se reconnaissait fautif, il fallait lui pardonner. L’évêque, qui avait présenté Michel-Ange au pape, voulut l’excuser, et dit à Sa Sainteté que ces artistes étaient des ignorants, et qu’en dehors de leur partie, ils n’étaient bons à rien ; que, par conséquent, on devait lui pardonner. Alors le pape se fâcha et frappa d’un bâton l’évêque, en disant : « Ignorant toi-même, qui dis des sottises à cet homme, à qui nous n’avons rien dit nous-même. » Puis il fit pousser dehors l’évêque par ses palefreniers, avec des bourrades, et s’étant apaisé, il donna sa bénédiction à Michel-Ange, qui fut bien traité à Bologne, et à qui le pape commanda sa propre statue, en bronze, haute de cinq brasses. L’attitude que l’artiste lui donna était très belle, parce qu’elle était pleine de grandeur et de majesté, les vêtements reflétaient la richesse et la magnificence, enfin le visage était effrayant d’énergie et de vivacité. Cette statue fut posée[2] dans une

  1. Jules II entra à Bologne le 10 novembre 1506.
  2. Le 21 février 1506. Elle coûta mille ducats d'or et pesait dix-sept mille livres.