O n voit l’influence céleste faire pleuvoir les dons les plus précieux
sur certains hommes, souvent avec régularité et quelquefois d’une
manière surnaturelle ; on la voit réunir sans mesure en un même être
la beauté, la grâce, le talent et porter chacune de ces qualités à une telle
perfection que, de quelque côté que se tourne ce privilégié, chacune de
ses actions est tellement divine que, distançant tous les autres hommes,
ses qualités apparaissent, ce qu’elles sont en réalité, comme accordées par
Dieu et non acquises par l’industrie humaine. C’est ce que l’on a pu
voir dans Léonard de Vinci, qui réunissait à une beauté physique au-dessus
de tout éloge une grâce infinie dans tous ses actes ; quant à son
talent, il était tel que, n’importe quelle difficulté se présentant à son esprit,
il la résolvait sans effort. Chez lui, la dextérité s’alliait à une force très
grande ; chez lui l’esprit et le courage avaient quelque chose de royal et
de magnanime. Enfin sa réputation grandit tellement que, répandue partout
de son vivant, elle s’étendit encore davantage après sa mort. Vraiment
admirable et céleste fut Léonard[1], fils de Ser Piero da Vinci ;
il se serait avancé très loin dans l’érudition et les principes des lettres, s’il
n’avait été si variable et si changeant. Car il se mit à apprendre beaucoup
de choses, et, à peine commencées, il les abandonnait. Ainsi, dans l’arithmétique,
qu’il apprit en peu de mois, il fit tant d’acquit que, soulevant
continuellement des doutes et des difficultés, bien souvent il embarrassait
le maître qui l’enseignait. Il cultiva un peu la musique, et aussitôt se
décida à apprendre à jouer de la lyre, en homme qui avait naturellement
l’esprit très élevé et plein de facilité, de manière qu’il chantait divinement
en improvisant et en s’accompagnant sur cet instrument. Cependant,
tout en s’occupant ainsi à des choses variées, il ne cessa jamais de
- ↑ Fils naturel de Ser Piero da Vinci et d’une nommée Catherina, qui épousa ensuite un paysan de Vinci, petit village près d’Empoli. Ser Piero se maria quatre fois et eut neuf fils légitimes. Il mourut le 9 juillet 1504.