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de Fernand Mendez Pinto.

lendemain, ſi toſt que nous apperceuſmes le iour, qu’vn chacun de nous deſiroit fort de voir, bien que nous euſſions peu d’eſperance de viure, ie demanday à mes quatre compagnons, tous Mariniers, s’ils connoiſſoient ce pays-là, & s’il n’y auoit point aux enuirons quelque hameau où l’on pût treuuer du monde ? Surquoy le plus vieil de tous, qui eſtoit marié à Malaca, ne pouuant retenir ſes larmes ; Helas ! me reſpondit-il, le lieu qui nous eſt maintenant le plus propre à vous & à moy, c’eſt le ſeiour de la mort, que par la miraculeuſe aſſiſtance du Tout-puiſſant, il faudra que nous rendiõs compte de nos pechez deuant qu’il ſoit peu de temps. Voila pourquoy il eſt neceſſaire de nous tenir preſts, ſans differer dauantage, puis qu’il eſt certain que nous deuons bien-toſt eſprouuer vne peine beaucoup plus grande que celle que nous endurons à preſent : prenons donc en patience ce qui nous eſt enuoyé de la main de Dieu. Pour moy, ie te prie de ne perdre point courage, quelque choſe que tu voye, & que l’apprehenſion de mourir ne t’effraye point, puiſque tout bien conſideré il n’importe que ce ſoit auiourd’huy, ou demain. Cela dit, il m’embraſſa fort eſtroittement, & auec les larmes aux yeux, il me pria de le faire Chreſtien, pource, diſoit-il, qu’il tenoit pour vne choſe aſſeurée, laquelle il confeſſoit & croyoit fermement, qu’il luy suffiſoit de l’eſtre pour ſauuer ſon ame : ce qu’il ne peuuoit faire autrement dans la maudite ſecte de Mahomet, où il auoit veſcu iuſqu’alors, & dequoy il demandoit pardon à Dieu. Ayant acheué de proférer ces dernieres paroles, il demeura mort entre mes bras. Car il eſtoit ſi foible qu’il n’en pouuoit plus, tant pour n’auoir mangé de long-temps, que pour vne grande bleſſeure que le fracas de la Lanchare luy auoit faite à la teſte, par où l’on luy voyoit toute la ceruelle gaſtée & pourrie, comme n’ayant eſté penſé, ioinct que dans ſa playe il y eſtoit entré vne quantité d’eau ſalée, & que les mouſcherons l’auoient endommagée par leur morſure. Et certainement ce fut bien à mon grand regret que ie ne le peu ſecourir, tant pour le peu de commodité que i’en auois, que pour me treuuer ſi foible, que preſque à chaque