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de Fernand Mendez Pinto.

leger le tillac. Ainſi nous paſſaſmes en cette nuict à la riue, ſans monſtrer au vent vn ſeul poulce de voile, à cauſe que la mer eſtoit trop eſmeuë, & ſes vagues trop inſuportables. Le lendemain matin nous conneuſmes que noſtre Iunco s’en alloit à fonds, ſans que d’iceluy il ſe ſoit peu ſauuer que les 23. perſonnes que vous voyez de 147. qui eſtions dedans. De maniere qu’il y a deſia 14. iours que nous ſommes ſur ces planches, ſans auoir durant ce temps-là mangé autre choſe qu’vn mien eſclaue Cafre de nation, & qui nous mourut, duquel nous nous ſommes ſubſtantez l’eſpace de 8. iours & encore cette meſme nuict derniere il mourut deux Portugais, que nous n’auions voulu manger, quoy que nous en euſſions bon beſoing, par ce qu’il nous ſembloit que du iour au lendemain deuoient finir auec noſtre vie les trauaux que nous voyons deuant nos yeux.




De ce qui ſe paſſa au Royaume de Pan, apres que i’y fus arriué auec ceux qui s’eſtoient perdus ſur la mer.


Chapitre XXXIV.



Le recit que cét homme venoit de nous faire nous ayant rendus tous penſifs, & tous pleins d’eſtonnement, pour le voir luy & ſes compagnons reduits en vn eſtat ſi déplorable, nous fuſmes de meſme grandement emerueillez du moyen par lequel Dieu les auoit deliurez ſi miraculeuſement. Nous luy en rendiſmes doncques graces, & conſolaſmes ces nouueaux hoſtes, en leur repreſentant toutes les choſes que le deuoir de vrais Chreſtiens, & noſtre peu de capacité nous obligeoient de leur dire. Apres cela nous leur fiſmes part de nos veſtements, ce qui les ſoulagea quelque peu en leur neceſſité, & les couchaſmes dans nos licts ordinaires. Auec cela nous leur appliquaſmes les remedes qui nous ſembloient eſtre neceſſaires à leur repos ; car pour n’auoir dormy de long-temps ils eſtoient tous eſtourdis ſi fort de la teſte, qu’ils ſe laiſſoient