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de Fernand Mendez Pinto.

aman, où en eſchange de lingots d’argent, il auoit achepté toute la marchandiſe que vous auez, pour l’aller vendre aux Iuncos de Siam, qui ſont au port de Combay. Et dautant qu’il auoit beſoin d’eau, ſon malheur a voulu qu’il la ſoit venu prendre en ce lieu, où vous autres luy auez volé ſa marchandiſe, ſans aucune crainte de la Iuſtice diuine. Antonio de Faria luy dit là deſſus, qu’il ne pleuraſt point, & ſe mit à le careſſer, luy promettant qu’il le traitteroit comme ſon fils, & qu’il le tiendroit touſiours pour tel. Surquoy l’enfant le regardant fixement, luy reſpondit en ſe ſouſriant par maniere de meſpris : Ne penſe pas que pour eſtre enfant, ie ſois ſi niais de croire de toy, qu’ayãt volé mon pere, tu me pruiſſe iamais traicter comme ton fils. Que ſi tu es tel que tu dis, ie te prie infiniment pour l’amour de ton Dieu, que tu me laiſſes ietter à nage vers cette triſte terre, où eſt demeuré celuy qui m’a engendré, à cauſe que là eſt mon veritable pere, auec lequel ie veux pluſtoſt mourir dans ce bois où ie le voy ſe lamenter, que de viure auec des gens ſi meſchans que vous eſtes. Alors quelqu’vn de eux qui eſtoient là preſens l’ayant voulu reprendre, & luy remonſtrer que cela n’eſtoit pas bien parlé. Voulez vous ſçauoir, luy reſpõdit-il, pourquoy ie l’ay dit, c’eſt à cauſe qu’apres que vous auez eſté bien ſaouls, ie vous ay veu loüer Dieu auec les mains iointes, & les levres acharnées & beantes comme des hommes, qui ſemblent monſtrer les dents au Ciel, ſans ſatisfaire à ce qu’ils ont volé. Mais croyez que le Seigneur de la main puiſſante, ne vous oblige pas tant à remuer les dents, comme il vous defend de prendre le bien d’autruy, & à plus forte raiſon de voler & de meurtrir, qui ſont deux pechez ſi grands, qu’apres voſtre mort, vous le recognoiſtrez par le rigoureux chaſtiment de ſa diuine Iuſtice. Antonio de Faria s’eſtonnant des raiſons de ce petit garçon, luy demanda s’il ſe vouloit faire Chreſtien ? A quoy il reſpondit, le regardant fixement : ie n’entens pas ce que vous me dites, & ne ſçay quelle eſt la choſe que vous me propoſez. Declarez-la moy premierement, & apres ie vous reſpondray à propos. Alors Antonio de Faria le luy declara par paroles ſecrettes, & à ſa mode, ſans que le garçon luy voulut iamais reſpondre aucune choſe, ſi ce n’eſt que les yeux eleuez au Ciel, & les mains iointes il dit en pleurant, Beniſte ſoit, Seigneur, ta puiſſance, qui permet qu’il y ait ſur terre des gens,