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Voyages Aduentureux

ment ioyeux qu’ils furent de nous auoir vaincus, ils ſe retirerent bien auant dans la riuiere auecque de grandes acclamations. Antonio de Faria bien aiſe de cette nouuelle, quoy que d’vn autre coſté il fuſt fort triſte du mauuais ſuccés de ceux qui luy en auoient fait le recit ; rendit graces à Dieu d’auoir trouué ſon ennemy, choſe que luy & les ſiens auoient ſi fort deſirée. Certainement leur dit-il alors, ſelon le rapport que vous venez de me faire, ils doiuent eſtre à preſent dans cette riuiere tous ruinez, & en grand deſordre ; car il me ſemble que ny voſtre Iunco, ny celuy des leurs qui eſtoit attaché à l’autre qui eſt bruſlé, ne peuuent plus leur faire aucun ſeruice, & que dans le grand Iunco qui vous a attaqué, il n’eſt pas poſſible que vous n’ayez tué & bruſlé quelques-vns des leurs. A quoy ils firent reſponse, que veritablement ils en auoient tué & bleſſé quantité. Alors Antonio de Faria oſtant ſon bonnet ſe mit à genoux, & les mains leuées regardant fixement le Ciel, il dit en pleurant, Seigneur Iesvs-Christ mon Dieu, tout ainſi que tu es la vraye eſperance de ceux qui ſe confient en toy, moy qui ſuis le plus grand pecheur de tous les hommes, ie te prie tres-humblement au nom de tes ſeruiteurs qui ſont icy preſens, les ames deſquels tu as rachetées auec ton precieux ſang, que tu nous donnes force & victoire contre ce cruel ennemy, meurtrier d’vne ſi grande quantité de Portugais, lequel auec ta faueur & ayde, & pour l’honneur de ton ſaint Nom, i’ay reſolu d’aller chercher ; comme i’ay fait iuſques preſent, afin qu’il puiſſe payer à tes ſoldats & fideles ſeruiteurs ce qu’il leur doit il y a ſi long temps. A quoy tous ceux qui eſtoient preſens reſpondirent d’vne commune voix, A eux, à eux, au Nom de Iesvs-Christ, afin que ce chien nous rende maintenant ce qu’il y a long-temps qu’il a pris, tant à nous, qu’à nos pauures miſerables compagnons, puis auec vne merueilleuſe ardeur & de grandes acclamations, ils mirent le voile au vent de pouppe, & s’en allerent vers le port de Lailoo, qui eſtoit ja laiſſé de huit lieuës en arriere, où par l’auis qu’Antonio de Faria euſt de quelques-vns des ſiens, il s’en alla s’équipper de tout ce qui luy eſtoit ne-