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Voyages Aduentureux

qu’vne grande neceſſité les auoit contraints à cela, qu’au reſte pour ſon particulier il abhorroit grandement de ſemblables actions. A cela il adjouſta que l’ayant veu d’abord il s’en eſtoit voulu retourner, touché d’vn certain remords, & d’vne vraye repentance ; mais que tous les ſiens l’en auoient empeſché, diſant que s’il le faiſoit il falloit qu’il ſe reſolut à mourir tellement que pour ſauuer ſa vie il auoit eſté contraint de ſe taire, & de conſentir à cela, bien qu’il viſt clairement que c’eſtoit vn tres-grand peché, comme il diſoit ; à cauſe dequoy ſi toſt qu’il ſe verroit deſpeſtré d’eux, il s’eſtoit reſolu de s’en aller courir le monde, pour faire la penitence qui luy eſtoit neceſſaire afin de ſe purger d’vn ſi grand crime. A ces paroles l’Hermite luy fit reſponſe, Plaiſe au Seigneur qui regne viuant ſur la beauté des eſtoiles, que la grande connoiſſance que tu teſmoignes auoir par tes diſcours ne te puiſſe eſtre nuiſible. Car ie t’aſſeure que celuy qui connoiſt ces choſes, & ne les fait pas, court vn danger beaucoup plus grand que celuy qui peche par ignorance. Alors vn des noſtres nommé Nuno Coelho s’eſtant voulu entremettre en ce diſcours, luy dit, Qu’il n’euſt point à ſe faſcher d’vne choſe de ſi petite importance. Sur quoy l’Hermite le regardant de trauers, Afſſeurément, luy reſpondit-il, la crainte que tu as de la mort eſt encore bien moindre, puis que tu employes ta vie à des dictions außi infames & noires que l’ame qui eſt dans ton corps ; & pour moy ie ne puis croire autre choſe, ſinon que toute ton ambition n’eſt que d’auoir de l’argent, comme tu le fais bien paroiſtre par la ſoif de ton auarice inſatiable, par le moyen de l’aquelle tu veux acheuer de combler la charge de ton appetit infernal. Continuë doncques tes voleries, car puis que pour les choſes que tu as deſia priſes en cette ſainte maiſon, tu dois aller en Enfer, tu t’y en iras encore pour celles que tu voleras ailleurs. Ainſi tant plus peſant que ſera le fardeau que tu porteras, tant pluſtoſt ſeras-tu precipité au profond de l’Enfer, où deſia tes mauuaiſes œuures t’ont appreſté vne demeure eternelle. A ces mots Nuno de Coelho le pria derechef de prendre toutes ces choſes en patience, diſant que la Loy de Dieu le luy commandoit ainſi. Alors l’Hermite portant ſa main ſur ſon front par maniere d’eſtonnement, puis branſlant la teſte cinq ou ſix fois, com-