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de Fernand Mendez Pinto.

nous fuſſions bien gouuernés, & ſi Antonio de Faria euſt pris le conſeil qu’on luy donnoit, qui eſtoit, que puiſque iuſques alors nous n’auions point eſté deſcouuerts, il deuoit mener l’Hermite auec luy, afin qu’il n’aduertit la maiſon des Bonzos de ce que nous auions fait. A quoy il ne voulut iamais entendre, diſant que nous ne deuions rien craindre de ce coſté-là, tant à cauſe que l’Hermite eſtoit ſi vieil, ſi goutteux, & ſi enflé par les iambes qu’il ne ſe pouuoit ſouſtenir. Mais il en arriua bien autrement qu’il ne penſoit, car l’Hermite n’eut pas pluſtoſt veu que nous eſtions embarqués, comme nous le ſceuſmes depuis, qu’il ſe traiſna le mieux qu’il pût iuſques au plus prochain Hermitage, qui n’eſtoit eſloigné du ſien que de la portée d’vne arbaleſte, & donna aduis de ce que nous luy auions fait. Par meſme moyẽ il dit à ſon compagnon, que puiſqu’il ne ſe pouuoit remuer à cauſe de ſon hydropiſie, il s’en allaſt de ce pas en la maiſon des Bonzos pour les y aduertir de ce qui ſe paſſoit ; dequoy cettuy-cy s’acquitta tout auſſi-toſt ; ce que nous-meſmes peuſmes ouyr du lieu où nous eſtions. En ſuite de cela vne heure apres la minuit nous viſmes ſur la muraille du grand Tẽple où eſtoient enſeuelis les Roys, quantité de feux qu’on y auoit faits pour ſeruir de ſignal. Alors nous demandaſmes à nos Chinois ce que cela pouuoit eſtre ? A quoy ils nous reſpondirent, qu’aſſeurement nous auions eſté deſcouuerts, voyla pourquoy ils nous conſeilloient, que ſans nous arreſter là dauantage nous euſſions à faire voile à l’heure meſme. Nous en donnaſmes aduis à Antonio de Faria qui dormoit d’vn profond ſommeil, de maniere qu’il ne fut pas plutoſt eſueillé, que laiſſant l’ancre en mer, il fit prẽdre les rames, & ainsi tout eſpouuanté qu’il eſtoit il s’en alla droit à l’Iſle pour voir s’il ne s’y faiſoit point quelque tumulte. Eſtant arriué proche du quay il oüiſt pluſieurs cloches que l’on ſonnoit à chaque Hermitage ; enſemble vn bruit de perſonnes qui parloient. Les Chinois qui l’accompagnoient luy dirent alors ; Monſieur, il n’eſt pas besoin ny de voir, ny d’ouyr dauantage, mais bien de vous retirer promptement : faites-le donc ie vous prie, & ne ſoyez point cauſe qu’on nous vienne icy tuer