Page:Les voyages advantureux de Fernand Mendez Pinto.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
286
Voyages Aduentureux

comme pauure & miſerable qu’il eſt, ne ſçauroit donner rien de bon, là où Dieu eſt infiniement riche & amy des pauures, qui dans le comble de leurs afflictions le loüent auec patience & humilité. Le monde eſt vindicatif, Dieu patient, le monde meſchant, Dieu tout bon ; le monde gourmand, Dieu amy de l’abſtinence, le monde mutin & turbulent, Dieu patient & pacifique ; le monde menteur & plein d’artifices enuers ceux qui ſont à luy, Dieu touſjours veritable, franc & debonnaire à ceux qui l’inuoquent en leurs prieres ; le monde eſt ſenſuel & auare, Dieu liberal & plus pur que n’eſt la clarté du Soleil, des Eſtoiles, & de ces autres Astres qui ſont bien plus excellents que ceux qui paroiſſent à nos yeux, leſquels ſont touſiours preſents à ſa face reſplandiſſante. Le monde eſt plein d’irreſolutions & de fauſſetez, dont ils s’entretient dans la fumée de ſa vaine gloire, là où Dieu eſt pur & conſtant en ſa verité, afin que par elle meſme les hũbles puiſſent poſſeder la gloire en toute pureté de cœur. En vn mot le monde eſt plein de folie & d’ignorance, Dieu tout au contraire eſt la ſource de la ſageſſe. C’eſt pourquoy mes amis, combien que vous ſoyez reduits en ſi pitoyable eſtat, ne vous defiez point pour cela de ſes promeſſes, ie vous aſſeure qu’il ne vous manquera point de ſon coſté ſi du voſtre vous ne vous rendez indignes de ſes faueurs. Car il ne ſe trouuera pas qu’il ait iamais manqué aux ſiens, bien que ceux que le monde aueugle ſoient de contraire opinion, lors qu’il ſe voyent abattus par la pauureté, & meſpriſez d’vn chacun. Nous ayant tenu ces langages, il nous donna la lettre de recommandation, pour la rendre au Confreres de l’autre Hoſpital où nous deuions aller, & ainſi nous partiſmes ſur le midy, & arriuaſmes à la ville enuiron vne heure ou deux de Soleil. La premiere choſe que nous fiſmes fut de nous en aller à la maiſon du repos des pauures, car c’eſt ainſi que les Chinois appellent les Hoſpitaux. Là nous donnaſmes noſtre lettre aux maiſtres de cette confrairie, qu’ils appellent Tanigores, que nous trouuaſmes tous enſemble dãs vne chambre où ils eſtoient aſſemblez pour les affaires des pauures. Apres qu’ils eurent pris cette lettre auec vne maniere de compliment qui nous ſembla fort nouuelle, ils commanderent au Greffier qu’il euſt à la lire. Il ſe leua de bout auſſi-toſt, & y leut tout haut ces paroles, en preſence de ceux