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de Fernand Mendez Pinto.

ſe rebutera point de voir les perſonnes. À ces paroles du Roy ie reſpondis alors par mon truchement, car i’en auois vn fort bon, Que pour le regard de ce que ſon Alteſſe diſoit, que ie me trouuois eſtõné, ie l’eſtois veritablement & le confeſſois ainſi, non pour raiſon de tant de gens dont ie me voyois enuirõné, pour en auoir bien veu dauãtage ; mais que mon eſtonnement procedoit de ce que ie me repreſentois d’eſtre maintenant deuant les pieds d’vn ſi grand Roy, ce qui ſuffiſoit pour me faire muet cens mille ans, ſi i’en euſſe eu autant de vie. À ces paroles i’adjouſtay, que ceux qui eſtoient là preſents ne me paroiſſoient que des hommes comme moy ; mais que pour le regard de ſon Alteſſe, Dieu luy auoit donné de ſi grands aduantages par deſſus tous, qu’il auoit voulu qu’il fuſt Seigneur, & que les autres ne fuſſent que ſimples ſeruiteurs, meſmes que ie ne fuſſe qu’vne fourmy, ſi petite à comparaiſon de ſa grandeur, que ny ſon Alteſſe meſme ne pouuoit voir à cauſe de ma petiteſſe, ny moy meſme ne pouuois reſpondre aux demandes qu’il me faiſoit. Tous les aſſiſtans firent tant d’eſtat de cette bruſque & groſſiere reſponſe, que battant des mains par maniere d’eſtonnement il dirent au Roy, Que voſtre Alteſſe voye vn peu comme il parle à propos. Certainement il y a de l’apparence que cet homme n’eſt point vn marchand qui ſe meſle de choſes baſſes cõme d’achepter, & de vendre, mais pluſtoſt vn Bonze qui adminiſtre les ſacrifices au peuple, ou ſi cela n’eſt, il faut ſans doute que ce ſoit quelque grand Capitaine qui ait longtemps couru les mers. Cela eſt vray, reſpondit le Roy, ie ſuis bien de ce meſme aduis, puis que ie voy qu’il a ainſi laſché la bride à la coüardiſe, c’eſt pourquoy continuons deluy faire d’autres demandes, & que perſonne ne parle, à cauſe que ie veux eſtre ſeul à l’interroger, car ie vous aſſeure que ie prens vn ſi grand plaiſir à l’ouyr parler, que poſſible cela me fera venir l’appetit, pource que ie ne ſents maintenant aucune douleur. Alors la Royne & ſes filles, qui eſtoient aſſiſes prés de luy, ſe reſioüirent de ces paroles, & pour teſmoigner leur contentement, mettant les genoux à terre, & hauſſant les mains au Ciel, elles remercierent Dieu des grandes grâces qu’il leur faiſoit.