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de Fernand Mendez Pinto.

ment aux ennemis. M’eſtant preſenté à luy, il me receut auec vne grande demonſtration d’allegreſſe. Alors ie luy donnay la lettre que Pedro de Faria luy enuoyoit, par laquelle il luy faiſoit eſperer qu’à l’aduenir il l’iroit ſecourir en perſonne, s’il en eſtoit beſoin, & y adiouſtoit pluſieurs autres complimens, qui ne couſtoient rien à dire, dont le Roy ſe tint pour grandement content ; car il s’imaginoit deſia que l’effet s’en deuſt enſuiure veritablement. Mais apres qu’il euſt veu le preſent que ie luy fis, qui conſiſtoit en poudre, & en autres munitions, il en fut tellement ioyeux, que s’eſtant mis à m’embraſſer ; Mon bon amy, me dit-il, ie t’aſſeure que la nuict paſſée i’ay ſongé que de la fortereſſe du Roy de Portugal mon Maiſtre, me venoient tous ces biens que ie vois maintenant deuant moy, par le moyen deſquels, auec l’aſſiſtance de Dieu i’eſpere deffendre mon Royaume, & le ſeruir, comme i’ay touſiours fait iuſqu’à maintenant, dequoy peuuent rendre bon teſmoignage tous les Capitaines qui ont cy-deuant commandé dans Malaca. Là-deſſus apres s’eſtre enquis de moy de certaines choſes qu’il deſiroit ſçauoir, tant pour le regard des Indes, que du Royaume de Portugal, il recommanda à ſes gens le trauail de la tranchée, où tous s’occupoient auec beaucoup d’ardeur, puis me prenant par la main, tout à beau pied qu’il eſtoit, auec cinq ou ſix Gentils-hommes qu’il auoit prés de luy, ſans aucune autre compagnie, il me mena droit à la ville, qui eſtoit à vn quart de lieuë de la tranchée, là il me fit vn fort beau accueil dedans ſon Palais, où il me traitta magnifiquement, & meſme il me fit ſaluër ſa femme, choſe qui ſe pratique fort rarement en ce pays-là, & que l’on impute à vn honneur particulier. Alors me la faiſant voir auec les larmes aux yeux, qu’il reſpandoit en grande abondance, Portugais, me dit-il, voicy le ſuiet pour qui ie redoute la venuë de mes ennemis, car n’eſtoit que ie ſuis retenu de ma femme, & engagé à ce que l’honneur m’oblige de faire, ie te iure par la Loy de bon More, que ie les preuiendrois en leurs deſſeins, ſans y employer d’autres hommes que les miens. Car ce n’eſt pas d’auiourd’huy que ie ſçay quel homme c’eſt que le per-