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Page:Lesage - Œuvres, Didot, 1877.djvu/116

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LE DIABLE BOITEUX

tent d’un mariage qui vous fait tant d’honneur ? Avouez-le-moi, don Cleophas, vous aimez quelque dame qui a reçu votre foi ; et son intérêt s’oppose en ce moment à votre fortune. Si j’avois une maîtresse à qui je fusse lié par des serments, répondit l’écolier, rien sans doute ne seroit capable de me les faire trahir. Mais ce n’est point cette raison qui m’empêche de profiter de vos bontés : un sentiment de délicatesse veut que je renonce au glorieux établissement que vous me proposez ; et loin de vouloir abuser de votre erreur, je vais vous détromper : je ne suis point le libérateur de Séraphine.

Qu’entends-je ! s’écria le vieillard fort étonné : ce n’est pas vous qui l’avez délivrée des flammes qui l’alloient consumer ? ce n’est point vous qui avez fait une action si hardie ? Non, seigneur, répondit Zambullo, tout mortel l’auroit vainement entrepris, et je veux bien vous apprendre que c’est un diable qui a sauvé votre fille.

Ces paroles augmentèrent la surprise de don Pèdre, qui, ne croyant pas les devoir prendre au pied de la lettre, pria l’écolier de parler plus clairement. Alors Leandro, sans se soucier de perdre l’amitié d’Asmodée, raconta tout ce qui s’étoit passé entre ce démon et lui. Après quoi le vieillard reprit la parole, et dit à don Cleophas : La confidence que vous venez de me faire me confirme dans le dessein de vous donner ma fille ; vous êtes son premier libérateur. Si vous n’eussiez pas prié le Diable boiteux de l’arracher à la mort qui la menaçoit, il n’auroit pas manqué de la laisser périr. C’est donc vous qui avez conservé les jours de Séraphine : en un mot, vous la méritez , et je vous l’offre avec la moitié de mon bien.

Leandro Ferez, à ces mots qui levoient tous ses scrupules, se jeta aux pieds de don Pèdre pour le remercier de ses bontés. Peu de temps après, ce mariage se fit avec une magnificence convenable à l’héritier du seigneur de Escolano, et à la grande satisfaction des parents de notre écolier, lequel demeura par là bien payé de quelques heures de liberté qu’il avoit procurées au Diable boiteux.


FIN DU DIABLE BOITEUX.