Page:Lesage - Œuvres, Didot, 1877.djvu/17

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lecture agréable et en assurer le succès. Lesage se chargea bien volontiers de ce travail, dans lequel il puisa une foule de sujets qu’il transporta plus tard sur les modestes théâtres de la foire.

L’ouvrage de François Pétis de la Croix, revu et corrigé par notre auteur, parut en 1710, en deux volumes in-12.

Lesage commença alors à écrire pour le théâtre de la foire Saint-Laurent et pour celui de la foire Saint-Germain : quelques opéras-comiques, des divertissements ou prologues qu’il composoit en se jouant, et la plupart en collaboration avec Fuselier et Dorneval, servoient à son esprit d’utile distraction, et le reposoient du long enfantement de l’œuvre à laquelle éloit réservé l’honneur d’immortaliser son nom.

En 1715, parut enfin l’Histoire de Gil Blas de Santillane, ou pour mieux dire la première partie de ce merveilleux roman, car Lesage n'en publia la suite qu’en 1724, et la fin qu’en 1735.

L’impression que produisit cet ouvrage sur le public fut immense ; le succès qu’il obtint fut encore plus éclatant que celui du Diable Boiteux. Mais comme tout grand succès littéraire éveille l’envie, Lesage ne jouit pas longtemps sans trouble de la joie que lui causa son triomphe. On ne pouvoit, sans une insigne maladresse, attaquer le style du roman ; la mauvaise foi eût été d’ailleurs si évidente, que tout le monde eût pris parti pour l’auteur. Que faire donc ? Contester l’originalité du livre, en attribuer l’idée première, la véritable paternité à quelque auteur espagnol obscur et ignoré, c’étoit le seul moyen de rabaisser le mérite de l’écrivain ; aussi, à défaut de tout autre, la critique s’arrêta à celui-ci. Les premiers détracteurs de Gil Blas accusèrent donc Lesage d’avoir tiré son roman d’un livre espagnol, sans indiquer, et pour cause, à quelle source il avoit puisé ; c’étoit pourtant, dans un pareil procès, le fait dont la révélation étoit la plus importante et la plus nécessaire. Bruzen de La Martiniére, renouvelant à son tour cette accusation, avança le premier, d’une manière formelle, que Lesage avoit emprunté son ouvrage à la Vie de l’écuyer don Marcoz Obregon, de Vincent Espinel ; et Voltaire, appuyant cette assertion, ajouta, avec une inconcevable légèreté, que Gil Blas n’étoit qu’une traduction de ce livre.

« Qu’un écrivain, c’est Diderot qui parle, se garantisse de la fureur d’arracher à son concitoyen, et surtout à son contemporain, le mérite d’une invention, pour en transporter l’honneur à un homme d’une autre contrée ou d’un autre siècle. »

Voltaire, qui n’avoit pas lu la Vie de l’écuyer don Marcoz Obregon, avoit oublié sans doute les lignes que nous venons de citer, quand il prêta, aux attaques dirigées contre Lesage, l’appui de son témoignage et l’autorité de son nom. Quelle ressemblance y a-t-il en effet entre l’ouvrage de Vincent Espinel et celui de Lesage ? aucune ! Comme l’a prouvé d’une manière évidente François de Neuf-château, dans une dissertation imprimée en tête de l’édition de Gil Blas de M. Didot l’aîné, le roman espagnol et le roman français n’ont entre eux aucun rapport : le fond, la forme, le but, tout diffère, et si Lesage a emprunté à Vincent Espinel quelques récits qu’il a arrangés à sa manière, c’est-à-dire embellis, il n’a usé que de son droit. C’est ce qu’avoient fait avant lui Corneille et Molière, c’est ce que fit de son temps, et d’une manière beaucoup moins heureuse, l’auteur de Zaïre lui-même, sans que personne ail songé à lui en faire un crime.

Si Lesage n’eût obtenu qu’un succès de coterie, qu’un succès sans conséquence, on lui eût assurément permis de goûter en paix sa petite gloire ; mais quiconque sort des rangs, et aidé de ses seules forces, s’élève au-dessus de la foule et révèle par un chef-d’œuvre la puissance d’un esprit original et supérieur, celui-là soulève toujours les plus basses et les plus ignobles jalousies : la critique s’avance à lui, armée de toutes pièces ; ignorante et haineuse, elle lui conteste un à un ses plus beaux titres de gloire, et s’efforce de souiller un triomphe qu’elle ne se sent pas appelée à obtenir à son tour.

Parmi les écrivains qui ont avancé l’opinion que Gil Blas étoit l’œuvre, non de Lesage, mais d’un auteur espagnol, il en est un cependant dont les observations graves et les savantes recherches ont pu jeter quelque doute dans les esprits, et ébranler les convictions les