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LE DIABLE BOITEUX.

PRÉFACE DE 1726.

AU TRÈS-ILLUSTRE AUTEUR

LUIS VELEZ DE GUEVARA.

C’est à vous, seigneur de Guevara, que j’ai dédié cet ouvrage dans sa nouveauté. Si je me fis un devoir alors de vous rendre cet hommage, rien ne doit me dispenser aujourd’hui de vous le renouveler. J’ai déjà déclaré, et je déclare encore publiquement, que votre Diablo-Cojuelo m’en a fourni le titre et l’idée. Ainsi je vous cède l’honneur de l’invention, sans vouloir, comme je vous l’ai dit, approfondir si quelque auteur grec, latin ou italien, ne pourroit pas justement vous le disputer.

J’avouerai même encore qu’en y regardant de près, on reconnoîtroit dans le corps de ce livre quelques-unes de vos pensées. Plût au ciel qu’il y en eût davantage, et que la nécessité de m’accommoder au génie de ma nation m’eût permis de vous copier exactement ! J’aurois fait gloire d’être votre traducteur ; mais j’ai été obligé de m’écarter du texte, ou, pour mieux dire, j’ai fait un ouvrage nouveau sur le même plan.

Sous la forme que je lui ai prêtée d’abord, il a été réimprimé en France je ne sais combien de fois. Nous avons partagé tous deux l’honneur du succès qu’il a eu ; mais, que dis-je, partagé ? J’ai passé à Paris pour votre copiste, et je n’ai été loué qu’en second. Il est vrai, en récompense, qu’à Madrid la copie a été traduite en espagnol, et qu’elle y est devenue un original.

J’en donne aujourd’hui une nouvelle édition, que je vous adresse encore, seigneur Luis Velez ; mais pour le rendre plus digne de revoir le jour, après dix-neuf années, il a fallu le retoucher et le remettre, pour ainsi dire, à la mode. Quoique le monde soit toujours le même, il s’y fait une succession continuelle d’originaux, qui semble y apporter quelque changement. Je n’ai pas seulement corrigé l’ouvrage, je l’ai refondu, et augmenté d’un volume, que les sottises himiaines m’ont aisément fourni. C’est une source de tomes inépuisable : mais je n’ai point entrepris de l’épuiser. J’abandonne ce travail immense à quelqu’un de ces auteurs laborieux qui veulent bien employer une longue vie à mériter d’occuper une toise de place dans les bibUothèques. Pour moi, qui borne mon ambition à égayer pendant quelques heures mes lecteurs, je me contente de leur offrir en petit un tableau des mœurs du siècle. Après avoir reconnu, seigneur de Guevara, que votre Diable a toujours hypothèque sur le mien, il faut encore confesser, pour la décharge de ma conscience, que j’ai emprunté des vers et quelques images de Francisco Santos, autem* du livre intitulé Dia y Noche de Madrid. Quoique le larcin ne soit pas de grande importance, je déclare que je l’ai fait, afin que quelque mauvais plaisant ne vienne pas me comparer aux voleurs qui, pour vendre impunément une vaisselle qu’ils ont volée, en ôtent les armoiries.

Puisse le public recevoir aussi favorablement cette dernière édition qu’il a reçu la première ! Je n’oserois me flatter de ce bonheur, quoique l’ouvrage soit plus nourri qu’il n’étoit, et que j’aie fait de mon mieux pour engager ceux qui le liront à y prendre un nouveau goût.