Page:Lesage - Œuvres, Didot, 1877.djvu/772

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Je voudrais savoir qui peut être l'auteur d'un bruit si ridicule. La Branche. Monsieur dit que c'est un gentilhomme appelé Valère. Crispin, faisant l'étonné. Valère ! Qui est cet homme-là ? La Branche, à Monsieur Oronte. Vous voyez bien, Monsieur, qu'il ne le connaît pas... À Crispin Hé là, c'est ce jeune homme que tu sais... que vous savez, dis-je... qui est votre rival, à ce qu'on nous a dit. Crispin. Ah, oui oui, je m'en souviens : à telles enseignes qu'on nous a dit qu'il a peu de bien, et qu'il doit beaucoup ; mais qu'il couche en joue la fille de Monsieur Oronte, et que ses créanciers font des vœux très ardents pour la prospérité de ce mariage. M.Oronte. Ils n'ont qu'à s'y attendre, vraiment, ils n'ont qu'à s'y attendre. La Branche. Il n'est pas sot ce Valère, il n'est parbleu pas sot. M.Oronte. Je ne suis pas bête non plus, je ne suis palsambleu pas bête, et pour le lui faire voir, je vais de ce pas chez mon notaire ; ou plutôt Damis, j'ai une proposition à vous faire. Je suis convenu, je l'avoue, avec Monsieur Orgon de vous donner vingt mille écus en argent comptant ; mais voulez-vous prendre pour cette somme ma maison du faubourg Saint-Germain, elle m'a coûté plus de quatre-vingt mille francs à bâtir. Crispin. Je suis homme à tout prendre; mais entre nous, j'aimerais mieux de l'argent comptant. La Branche. L'argent, comme vous savez, est plus portatif. M.Oronte. Assurément. Crispin. Oui, cela se met mieux dans une valise. C'est qu'il se vend une terre auprès de Chartres, je voudrais bien l'acheter. La Branche. Ah Monsieur, la belle acquisition ! Si vous aviez vu cette terre-là, vous en seriez charmé. Crispin. Je l'aurai pour vingt-cinq mille écus, et je suis assuré qu'elle en vaut bien soixante mille. La Branche. Du moins, Monsieur, du moins. Comment sans parler du reste, il y a deux étangs où l'on pêche chaque année pour deux mille francs de goujons. M.Oronte. Il ne faut pas laisser échapper une si belle occasion. Écoutez, j'ai chez mon notaire cinquante mille écus que je réservais pour acheter le château d'un certain financier qui va bientôt disparaître, je veux vous en donner la moitié. Crispin, embrassant Monsieur Oronte.Ah quelle bonté, Monsieur Oronte ! Je n'en perdrai jamais la mémoire; une éternelle reconnaissance... Mon cœur... enfin j'en suis tout pénétré. La Branche. Monsieur Oronte est le phénix des beaux-pères. M.Oronte. Je vais vous quérir cet argent ; mais je rentre auparavant, pour donner cet avis à ma femme. Crispin. Les créanciers de Valère vont se pendre. M.Oronte. Qu'ils se pendent ! Je veux que dans une heure vous épousiez ma fille. Crispin. Ah ah ah, que cela sera plaisant ! La Branche. Oui oui, c'est cela qui sera tout à fait drôle.


Scène XVI

Crispin, La Branche

Crispin. Il faut que mon maître ait eu un éclaircissement avec Angélique ; et qu'il connaisse Damis. La Branche. Ils se connaissent si bien, qu'ils s'écrivent comme tu vois ; mais grâce à mes soins, Monsieur Oronte est prévenu contre Valère, et j'espère que nous aurons la dot en croupe, avant qu'il soit désabusé. Crispin. Ô ciel ! La Branche. Qu'as-tu, Crispin ? Crispin. Mon maître vient ici. La Branche. Le fâcheux contretemps !


Scène XVII

Valère, Crispin, La Branche

Valère.