Aller au contenu

Page:Lesage - Œuvres, Didot, 1877.djvu/794

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donne, et à madame sa cousine, à souper ici ce soir.

M. TURCARET.

Très-volontiers.

FRONTIN.

Je vais ordonner chez Fite[1] toutes sortes de ragoûts, avec vingt-quatre bouteilles de vin de Champagne ; et, pour égayer le repas, vous aurez des voix et des instruments.

LA BARONNE.

De la musique, Frontin ?

FRONTIN.

Oui, madame ; à telles enseignes que j’ai ordre de commander cent bouteilles de Surène, pour abreuver la symphonie.

LA BARONNE.

Cent bouteilles ?

FRONTIN.

Ce n’est pas trop, madame. Il y aura huit concertants, quatre Italiens de Paris, trois chanteuses et deux gros chantres.

M. TURCARET.

Il a, ma foi, raison ; ce n’est pas trop. Ce repas sera fort joli.

FRONTIN.

Oh, diable ! quand M. le chevalier donne des soupers comme cela, il n’épargne rien, monsieur.

M. TURCARET.

J’en suis persuadé.

FRONTIN.

Il semble qu’il ait à sa disposition la bourse d’un partisan.

LA BARONNE., à M. Turcaret.

Il veut dire qu’il fait les choses fort magnifiquement.

M. TURCARET.

Qu’il est ingénu !… (A Frontin.) Eh bien ! nous verrons cela tantôt… (À la baronne.) Et, pour surcroît de réjouissance, j’amènerai ici M. Gloutonneau le poète : aussi bien je ne saurois manger si je n’ai quelque bel esprit à ma table.

LA BARONNE.

Vous me ferez plaisir. Cet auteur apparemment est fort brillant dans la conversation ?

M. TURCARET.

Il ne dit pas quatre paroles dans un repas ; mais il mange et pense beaucoup. Peste ! c’est un homme bien agréable…. Oh ! çà, je cours chez Dautel[2] vous acheter….

LA BARONNE, l’interrompant.

Prenez garde à ce que vous ferez, je vous en prie ; ne vous jetez point dans une dépense…

M. TURCARET, l’interrompant à son tour..

Eh ! fi ! madame, fi ! vous vous arrêtez à des minuties. Sans adieu, ma reine.

LA BARONNE.

J’attends votre retour impatiemment.

(M. Turcaret sort.)


Scène VII.

LA BARONNE, FRONTIN.
LA BARONNE.

Enfin te voilà en train de faire ta fortune.

FRONTIN.

Oui, madame ; et en état de ne pas nuire à la vôtre.

LA BARONNE.

C’est à présent, Frontin, qu’il faut donner l’essor à ce génie supérieur.

FRONTIN.

On tâchera de vous prouver qu’il n’est pas médiocre.

LA BARONNE.

Quand m’amènera-t-on cette fille ?

FRONTIN.

Je l’attends ; je lui ai donné rendez-vous ici.

LA BARONNE.

Tu m’avertiras quand elle sera venue.

(Elle passe dans sa chambre.)



Scène VIII.

LA BARONNE, FRONTIN, (seul.)

Courage ! Frontin, courage ! mon ami ; la fortune t’appelle. Te voilà placé chez un homme d’affaires, par le canal d’une coquette. Quelle joie ! l’agréable perspective ! Je m’imagine que toutes les choses que je vais toucher vont se convertir en or… (Voyant paraître Lisette.) Mais j’aperçois ma pupille.



Scène IX.

FRONTIN, LISETTE.
FRONTIN.

Tu sois la bienvenue, Lisette ! On t’attend avec impatience dans cette maison.

LISETTE.

J’y entre avec une satisfaction dont je tire un bon augure.

  1. Traiteur célèbre du temps.
  2. Fameux bijoutier d’alors.