Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

En nous entretenant d’un bureau d’adresses si singulier, le fils du barbier Nunez me mena dans un cul-de-sac. Nous entrâmes dans une petite maison, où nous trouvâmes un homme de cinquante et quelques années, qui écrivait sur une table. Nous le saluâmes, assez respectueusement même ; mais, soit qu’il fût fier de son naturel, soit que, n’ayant coutume de voir que des laquais et des cochers, il eût pris l’habitude de recevoir son monde cavalièrement, il ne se leva point ; il se contenta de nous faire une légère inclination de tête. Il me regarda pourtant avec une attention particulière. Je vis bien qu’il était surpris qu’un jeune homme en habit de velours brodé voulût devenir laquais ; il avait plutôt lieu de penser que je venais lui en demander un. Il ne put toutefois douter longtemps de mon intention, puisque Fabrice lui dit d’abord : Seigneur Arias de Londona, vous voulez bien que je vous présente le meilleur de mes amis ? C’est un garçon de famille, que ses malheurs réduisent à la nécessité de servir. Enseignez-lui, de grâce, une bonne condition, et comptez sur sa reconnaissance. Messieurs, répondit froidement Arias, voilà comme vous êtes tous, vous autres : avant qu’on vous place, vous faites les plus belles promesses du monde : êtes-vous bien placés, vous ne vous en souvenez plus. Comment donc ! reprit Fabrice, vous plaignez-vous de moi ? N’ai-je pas bien fait les choses ? Vous auriez pu les faire encore mieux, repartit Arias : votre condition vaut un emploi de commis, et vous m’avez payé comme si je vous eusse mis chez un auteur. Je pris alors la parole, et dis au seigneur Arias que, pour lui faire connaître que je n’étais pas un ingrat, je voulais que la reconnaissance précédât le service. En même temps je tirai de mes poches deux ducats que je lui donnai, avec promesse de n’en pas demeurer là, si je me voyais dans une bonne maison.

Il parut content de mes manières. J’aime, dit-il, qu’on en use de la sorte avec moi. Il y a, continua-t-il,