Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

entrer présentement dans la chambre du seigneur Sedillo. Il va dicter ses dernières volontés à un notaire qui est avec lui ; vous le saignerez tout à votre aise quand il aura fait son testament.

Nous avions grand’peur, la béate et moi, que le licencié ne mourût en testant ; mais, par bonheur, l’acte qui causait notre inquiétude se fit. Nous vîmes sortir le notaire, qui, me trouvant sur son passage, me frappa sur l’épaule et me dit en souriant : On n’a point oublié Gil Blas. À ces mots, je ressentis une joie toute des plus vives ; et je sus si bon gré à mon maître de s’être souvenu de moi, que je me promis de bien prier Dieu pour lui après sa mort qui ne manqua pas d’arriver bientôt ; car, le chirurgien l’ayant encore saigné, le pauvre vieillard, qui n’était déjà que trop affaibli, expira presque dans le moment. Comme il rendait les derniers soupirs, le médecin parut, et demeura un peu sot, malgré l’habitude qu’il avait de dépêcher ses malades. Cependant, loin d’imputer la mort du chanoine à la boisson et aux saignées, il sortit en disant d’un air froid qu’on ne lui avait pas tiré assez de sang ni fait boire assez d’eau chaude. L’exécuteur de la haute médecine, je veux dire le chirurgien, voyant aussi qu’on n’avait plus besoin de son ministère, suivit le docteur Sangrado, l’un et l’autre disant que dès le premier jour ils avaient condamné le licencié. Effectivement, ils ne se trompaient presque jamais, quand ils portaient un pareil jugement.

Sitôt que nous vîmes le patron sans vie, nous fîmes, la dame Jacinte, Inésille et moi, un concert de cris funèbres qui fut entendu de tout le voisinage ! La béate surtout, qui avait le plus grand sujet de se réjouir, poussait des accents si plaintifs, qu’elle semblait être la personne du monde la plus touchée. La chambre en un instant, se remplit de gens, moins attirés par la compassion que par la curiosité. Les parents du défunt, n’eurent pas plutôt vent de sa mort, qu’ils vinrent fondre au logis, et faire mettre le scellé partout. Ils