Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lina sourit à ce discours, et me répondit : Vous cesserez d’être surpris de la secrète entrevue que nous avons cette nuit ensemble, lorsque je vous aurai conté ce qui s’est passé entre ma duègne et moi. Lorsqu’elle entra dans cette maison ; mon mari lui fit mille caresses, et me dit : Mergelina, je vous abandonne à la conduite de cette discrète dame, qui est un précis de toutes les vertus ; c’est un miroir que vous aurez incessamment devant les yeux pour vous former à la sagesse. Cette admirable personne a gouverné pendant douze années la femme d’un apothicaire de mes amis ; mais gouverné… comme on ne gouverne point ; elle en a fait une espèce de sainte.

Cet éloge que la mine sévère de la dame Melancia ne démentait point, me coûta bien des pleurs et me mit au désespoir. Je me représentai les leçons qu’il me faudrait écouter depuis le matin jusqu’au soir, et les réprimandes que j’aurais à essuyer tous les jours. Enfin, je m’attendais à devenir la femme du monde la plus malheureuse. Ne ménageant rien dans une si cruelle attente, je dis d’un air brusque à la duègne, d’abord que je me vis seule avec elle : vous vous préparez sans doute à me faire bien souffrir, mais je ne suis pas fort patiente, je vous en avertis. Je vous donnerai de mon côté toutes les mortifications possibles. Je vous déclare que j’ai dans le cœur une passion que vos remontrances n’en arracheront pas : vous pouvez prendre vos mesures là-dessus. Redoublez vos soins vigilants, je vous avoue que je n’épargnerai rien pour les tromper. À ces mots la duègne renfrognée (je crus qu’elle m’allait bien haranguer pour son coup d’essai) se dérida le front, et me dit d’un air riant : Vous êtes d’une humeur qui me charme, et votre franchise excite la mienne. Je vois que nous sommes faites l’une pour l’autre. Ah ! belle Mergelina, que vous me connaissez mal, si vous jugez de moi par le bien que le docteur votre époux vous en a dit, ou sur ma vue rébarbative ! Je ne suis rien moins