Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/172

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vous retrouver à Zamora votre femme changée et bien établie ! Dès que le seigneur Zapata nous eut tourné les talons, il se mit à gesticuler et à déclamer en marchant. Aussitôt le barbier et moi, nous commençâmes à le siffler pour lui rappeler son début. Nos sifflements frappèrent ses oreilles ; il crut entendre les sifflets de Madrid. Il regarda derrière lui ; et, voyant que nous prenions plaisir à nous égayer à ses dépens, loin de s’offenser de ce trait bouffon, il entra de bonne grâce dans la plaisanterie, et continua son chemin en faisant de grands éclats de rire. De notre côté nous nous en donnâmes tout le soûl, après quoi nous regagnâmes le grand chemin et poursuivîmes notre route.


CHAPITRE IX

Dans quel état Diego retrouve sa famille, et après quelles réjouissances Gil Blas et lui se séparèrent.


Nous allâmes, ce jour-là, coucher entre Moyados et Valpuesta, dans un petit village dont j’ai oublié le nom ; et le lendemain nous arrivâmes, sur les onze heures du matin, dans la plaine d’Olmedo. Seigneur Gil Blas, me dit mon camarade, voici le lieu de ma naissance ; je ne puis le voir sans transport, tant il est naturel d’aimer sa patrie. Seigneur Diego, lui répondis-je, un homme qui témoigne tant d’amour pour son pays en devait parler, ce me semble, un peu plus avantageusement que vous n’avez fait. Olmedo me paraît une ville, et vous m’avez dit que c’était un village ; il fallait du moins le traiter de gros bourg. Je lui fais réparation d’honneur, reprit le barbier ; mais je vous dirai qu’après avoir vu Madrid, Tolède, Saragosse, et toutes les autres grandes villes ou j’ai demeuré en faisant le tour de l’Espagne, je regarde les petites comme des villages. À mesure que nous avancions dans la