Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/233

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de mettre au bas des noms de personnes qualifiées. Je ne pus m’empêcher de lui témoigner que je trouvais cela très délicat ; mais il me pria de ne lui donner des avis que lorsqu’il m’en demanderait. Je fus obligé de me taire, et d’expédier ses commandements. Cela fait, il se leva, et je l’aidai à s’habiller. Il mit les lettres dans ses poches ; il sortit ensuite. Je le suivis, et nous allâmes dîner chez don Juan de Moncade, qui régalait ce jour-là cinq ou six cavaliers de ses amis.

On y fit grande chère ; et la joie, qui est le meilleur assaisonnement des festins, régna dans le repas. Tous les convives contribuèrent à égayer la conversation, les uns par des plaisanteries, et les autres en racontant des histoires dont ils se disaient les héros. Mon maître ne perdit pas une si belle occasion de faire valoir les lettres qu’il m’avait fait écrire. Il les lut à haute voix, et d’un air si imposant, qu’à l’exception de son secrétaire, tout le monde peut-être en fut la dupe. Parmi les cavaliers devant qui se faisait effrontément cette lecture, il y en avait un qu’on appelait don Lope de Velasco. Celui-ci, homme fort grave, au lieu de se réjouir comme les autres des prétendues bonnes fortunes du lecteur, lui demanda froidement si la conquête de dona Clara lui avait coûté beaucoup. Moins que rien, lui répondit don Mathias ; elle a fait toutes les avances. Elle me voit à la promenade ; je lui plais. On me suit par son ordre ; on apprend qui je suis. Elle m’écrit, et me donne rendez-vous chez elle à une heure de la nuit où tout reposait dans sa maison. Je m’y trouvai ; on m’introduisit dans son appartement. Je suis trop discret pour vous dire le reste.

À ce récit laconique, le seigneur de Velasco fit paraître une grande altération sur son visage. Il ne fut pas difficile de s’apercevoir de l’intérêt qu’il prenait à la dame en question. Tous ces billets, dit-il à mon maître en le regardant d’un air furieux, sont absolument faux, et surtout celui que vous vous vantez d’avoir reçu de