Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/286

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

affliction, il en fut attendri. Belle Blanche, lui dit-il, suspendez les mouvements de votre douleur. Les apparences, je l’avoue, me peignent coupable à vos yeux ; mais quand vous serez instruite du dessein que j’ai formé pour vous, ce que vous regardez comme un crime vous paraîtra une preuve de mon innocence et de l’excès de mon amour. Ces paroles qu’Enrique croyait capables de modérer l’affliction de Blanche ne servirent qu’à la redoubler. Elle voulut répondre ; mais les sanglots étouffèrent sa voix. Le prince, étonné de son saisissement, lui dit : Quoi ! madame, je ne puis calmer votre trouble ? Par quel malheur ai-je perdu votre confiance, moi qui mets en péril ma couronne et même ma vie pour me conserver à vous ? Alors la fille de Léontio, faisant un effort sur elle pour s’expliquer, lui dit : Seigneur, vos promesses ne sont plus de saison. Rien désormais ne peut lier ma destinée à la vôtre. Ah ! Blanche, interrompit brusquement Enrique, quelles paroles cruelles me faites-vous entendre ? Qui peut vous enlever à mon amour ? qui voudra s’opposer à la fureur d’un roi qui mettrait en feu toute la Sicile, plutôt que de vous laisser ravir à ses espérances ? Tout votre pouvoir, seigneur, reprit languissamment la fille de Siffredi, devient inutile contre les obstacles qui nous séparent. Je suis femme du connétable.

Femme du connétable ! s’écria le prince en reculant de quelques pas. Il ne put continuer, tant il fut saisi. Accablé de ce coup imprévu, ses forces l’abandonnèrent. Il se laissa tomber au pied d’un arbre qui se trouva derrière lui. Il était pâle, tremblant, défait, et n’avait de libre que les yeux, qu’il attacha sur Blanche d’une manière à lui faire comprendre combien il était sensible au malheur qu’elle lui annonçait. Elle le regardait de son côté d’un air qui lui faisait assez connaître que ses mouvements étaient peu différents des siens ; et ces deux amants infortunés gardaient entre eux un silence qui avait quelque chose d’affreux. Enfin le prince,