Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/294

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dans mon dépit j’ai reçu la main du connétable, que mon père m’a présentée. J’ai fait le crime et nos malheurs. Hélas ! dans le temps que je vous accusais de me tromper, c’était donc moi, trop crédule amante, qui rompais des nœuds que j’avais juré de rendre éternels ? Vengez-vous, seigneur, à votre tour. Haïssez l’ingrate Blanche… Oubliez… Eh ! le puis-je, madame ? interrompit tristement Enrique : le moyen d’arracher de mon cœur une passion que votre injustice même ne saurait éteindre ! Il faut pourtant vous faire cet effort, seigneur, reprit en soupirant la fille de Siffredi… Et serez-vous capable de cet effort, vous-même ? répliqua le roi. Je ne me promets pas d’y réussir, repartit-elle ; mais je n’épargnerai rien pour en venir à bout. Ah ! cruelle, dit le prince, vous oublierez facilement Enrique, puisque vous pouvez en former le dessein. Quelle est donc votre pensée ? dit Blanche d’un ton plus ferme. Vous flattez-vous que je puisse vous permettre de continuer à me rendre des soins ? Non, seigneur, renoncez à cette espérance. Si je n’étais pas née pour être reine, le ciel ne m’a non plus formée pour écouter un amour illégitime. Mon époux est comme vous, seigneur, de la noble maison d’Anjou ; et quand ce que je lui dois n’opposerait pas un obstacle insurmontable à vos galanteries, ma gloire m’empêcherait de les souffrir. Je vous conjure de vous retirer : il ne faut plus nous voir. Quelle barbarie ! s’écria le roi. Ah ! Blanche, est-il possible que vous me traitiez avec tant de rigueur ? Ce n’est donc point assez, pour m’accabler, que vous soyez entre les bras du connétable, vous voulez encore m’interdire votre vue, la seule consolation qui me reste ? Fuyez plutôt, répondit la fille de Siffredi en versant quelques larmes ; la vue de ce qu’on a tendrement aimé n’est plus un bien, lorsqu’on a perdu l’espérance de le posséder. Adieu, seigneur, fuyez-moi ; vous devez cet effort à votre gloire et à ma réputation. Je vous le demande aussi pour mon repos ; car enfin, quoique ma vertu ne