Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/302

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Je m’aperçus, à ces paroles, que don Luis se troubla. Peut-on, sans indiscrétion, reprit-il, vous demander le nom de la dame ? Comment, sans indiscrétion ? s’écria le faux don Félix ; pourquoi vous ferais-je un mystère de cela ? Me croyez-vous plus discret que les autres seigneurs de mon âge ? Ne me faites point cette injustice-là. D’ailleurs, l’objet, entre nous, ne mérite pas tant de ménagement ; ce n’est qu’une petite bourgeoise. Vous savez bien qu’un homme de qualité ne s’occupe pas sérieusement d’une grisette, et qu’il croit même lui faire honneur en la déshonorant. Je vous apprendrai donc sans façon que la fille du docteur se nomme Isabelle. Et le docteur, interrompit impatiemment Pacheco, s’appellerait-il le seigneur Murcia de la Llana ? Justement, répliqua ma maîtresse. Voici une lettre qu’elle m’a fait tenir tout à l’heure ; lisez-la, et vous verrez si la dame me veut du bien. Don Luis jeta les yeux sur le billet ; et, reconnaissant l’écriture, il demeura confus et interdit. Que vois-je ? poursuivit alors Aurore d’un air étonné ; vous changez de couleur ? Je crois, Dieu me pardonne, que vous prenez intérêt à cette personne. Ah ! que je me veux de mal de vous avoir parlé avec tant de franchise !

Je vous en sais très bon gré, moi, dit don Luis avec un transport mêlé de dépit et de colère. La perfide ! la volage ! Don Félix, que ne vous dois-je point ! Vous me tirez d’une erreur que j’aurais peut-être conservée encore longtemps. Je m’imaginais être aimé, que dis-je, aimé ? je croyais être adoré d’Isabelle. J’avais quelque estime pour cette créature-là, et je vois bien que ce n’est qu’une coquette digne de tout mon mépris. J’approuve votre ressentiment, dit Aurore en marquant à son tour de l’indignation. La fille d’un docteur en droit devrait bien se contenter d’avoir pour amant un jeune seigneur aussi aimable que vous l’êtes. Je ne puis excuser son inconstance ; et, bien loin d’agréer le sacrifice qu’elle me fait de vous, je prétends, pour la punir