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CHAPITRE VI

Quelles ruses Aurore mit en usage pour se faire aimer de don Luis Pacheco.


Les deux nouveaux amis se rassemblèrent le lendemain matin ; ce fut leur premier soin. Ils commencèrent la journée par des embrassades qu’Aurore fut obligée de donner et de recevoir, pour bien jouer le rôle de don Félix. Ils allèrent ensemble se promener dans la ville, et je les accompagnai avec Chilindron, valet de don Luis. Nous nous arrêtâmes auprès de l’Université, pour regarder quelques affiches de livres qu’on venait d’attacher à la porte. Plusieurs personnes s’amusaient aussi à les lire, et j’aperçus parmi celles-là un petit homme qui disait son sentiment sur ces ouvrages affichés. Je remarquai qu’on l’écoutait avec une extrême attention, et je jugeai en même temps qu’il croyait mériter qu’on l’écoutât. Il paraissait vain, et il avait l’esprit décisif, comme ont la plupart des petits hommes. Cette nouvelle traduction d’Horace, disait-il, que vous voyez annoncée au public en si gros caractères, est un ouvrage en prose composé par un vieil auteur du collège. C’est un livre fort estimé des écoliers ; ils en ont consumé eux seuls quatre éditions. Il n’y a pas un honnête homme qui en ait acheté un exemplaire. Il ne portait pas des jugements plus avantageux des autres livres ; il les frondait tous sans charité. C’était apparemment quelque auteur. Je n’aurais pas été fâché de l’entendre jusqu’au bout : mais il me fallut suivre don Luis et don Félix, qui, ne prenant pas plus de plaisir à ses discours que d’intérêt aux livres qu’il critiquait, s’éloignèrent de lui et de l’Université.

Nous revînmes à notre hôtel à l’heure du dîner. Ma maîtresse se mit à table avec Pacheco, et fit tomber