Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/319

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goût d’Eufrasie. Je fus même assez imprudent pour avancer qu’elle ne pouvait avoir de galant plus aimable. Le bonhomme ne sentit point que je lui donnais de l’encensoir par le nez ; au contraire, il s’applaudit de mes paroles : tant il est vrai qu’un flatteur peut tout risquer avec les grands ! ils se prêtent jusqu’aux flatteries les plus outrées.

Le vieillard, après avoir écrit, s’arracha quelques poils de la barbe avec des pincettes ; puis il se lava les yeux, pour ôter une épaisse chassie dont ils étaient pleins. Il lava aussi ses oreilles, ensuite ses mains ; et, quand il eut fait toutes ses ablutions, il teignit en noir sa moustache, ses sourcils et ses cheveux. Il fut plus longtemps à sa toilette qu’une vieille douairière qui s’étudie à cacher l’outrage des années. Comme il achevait de s’ajuster, il entra un autre vieillard de ses amis, qu’on nommait le comte d’Asumar. Quelle différence il y avait entre eux ! Celui-ci laissait voir ses cheveux blancs, s’appuyait sur un bâton, et semblait se faire honneur de sa vieillesse, au lieu de vouloir paraître jeune. Seigneur Pacheco, dit-il en entrant, je viens vous demander à dîner. Soyez le bienvenu, comte, répondit mon maître. En même temps ils s’embrassèrent l’un l’autre, s’assirent, et commencèrent à s’entretenir en attendant qu’on servît.

Leur conversation roula d’abord sur une course de taureaux qui s’était faite depuis peu de jours. Ils parlèrent des cavaliers qui y avaient montré le plus d’adresse et de vigueur ; et là-dessus le vieux comte tel que Nestor, à qui toutes les choses présentes donnaient occasion de louer les choses passées, dit en soupirant : Hélas ! je ne vois point aujourd’hui d’hommes comparables à ceux que j’ai vus autrefois, ni les tournois ne se font pas avec autant de magnificence qu’on les faisait dans ma jeunesse. Je riais en moi-même de la prévention du bon seigneur d’Asumar, qui ne s’en tint pas aux tournois ; je me souviens, quand il fut à