Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/352

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et, me livrant à vos poursuites, j’avancerai moi-même la fin de mes malheurs.

Je me retirai en achevant ces paroles. On me donna mon cheval, et je me rendis à Tolède, où je demeurai huit jours, et où véritablement je pris si peu de soin de me cacher, que je ne sais comment je n’ai point été arrêté ; car je ne puis croire que le comte de Polan, qui ne songe qu’à me fermer tous les passages, n’ait pas jugé que je pouvais passer par Tolède. Enfin, je sortis hier de cette ville, où il semblait que je m’ennuyasse d’être en liberté ; et sans tenir de route assurée, je suis venu jusqu’à cet ermitage, comme un homme qui n’aurait rien à craindre. Voilà, mon père, ce qui m’occupe. Je vous prie de m’aider de vos conseils.


CHAPITRE XI

Quel homme c’était que le vieil ermite et comment Gil Blas s’aperçut qu’il était en pays de connaissance.


Quand don Alphonse eut achevé le triste récit de ses malheurs, le vieil ermite lui dit : Mon fils, vous avez eu bien de l’imprudence de demeurer si longtemps à Tolède. Je regarde d’un autre œil que vous tout ce que vous m’avez raconté, et votre amour pour Séraphine me paraît une pure folie. Croyez-moi, ne vous aveuglez point ; il faut oublier cette jeune dame qui ne saurait être à vous. Cédez de bonne grâce aux obstacles qui vous séparent d’elle, et vous livrez à votre étoile, qui, selon toutes les apparences, vous promet bien d’autres aventures. Vous trouverez sans doute quelque jeune personne qui fera sur vous la même impression, et dont vous n’aurez pas tué le frère.

Il allait ajouter à cela beaucoup d’autres choses pour exhorter don Alphonse à prendre patience, lorsque