Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/36

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provision de paille et plusieurs tonneaux remplis d’orge. Vingt chevaux y pouvaient être à l’aise ; mais il n’y avait alors que les deux qui venaient d’arriver. Un vieux nègre, qui paraissait pourtant encore assez vigoureux, s’occupait à les attacher au râtelier.

Nous sortîmes de l’écurie ; et, à la triste lueur de quelques autres lampes qui semblaient n’éclairer ces lieux que pour en montrer l’horreur, nous parvînmes à une cuisine où une vieille femme faisait rôtir des viandes sur un brasier, et préparait le souper. La cuisine était ornée des ustensiles nécessaires, et tout auprès on voyait une office pourvue de toutes sortes de provisions. La cuisinière (il faut que j’en fasse le portrait) était une personne de soixante et quelques années. Elle avait eu dans sa jeunesse les cheveux d’un blond très ardent ; car le temps ne les avait pas si bien blanchis, qu’ils n’eussent encore quelques nuances de leur première couleur. Outre un teint olivâtre, elle avait un menton pointu et relevé, avec des lèvres fort enfoncées ; un grand nez aquilin lui descendait sur la bouche, et ses yeux paraissaient d’un très beau rouge pourpré.

Tenez, dame Léonarde, dit un des cavaliers en me présentant à ce bel ange des ténèbres, voici un jeune garçon que nous vous amenons. Puis il se tourna de mon côté, et remarquant que j’étais pâle et défait : Mon ami, me dit-il, reviens de ta frayeur. On ne te veut faire aucun mal. Nous avions besoin d’un valet pour soulager notre cuisinière ; nous t’avons rencontré, cela est heureux pour toi. Tu tiendras ici la place d’un garçon qui s’est laissé mourir depuis quinze jours. C’était un jeune homme d’une complexion très délicate. Tu me parais plus robuste que lui : tu ne mourras pas sitôt. Véritablement, tu ne reverras plus le soleil ; mais, en récompense, tu feras bonne chère et bon feu. Tu passeras tes jours avec Léonarde, qui est une créature fort humaine : tu auras toutes tes petites commodités. Je veux te faire voir, ajouta-t-il, que tu n’es pas ici avec