Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour satisfaire notre curiosité, nous avons pris chacun cent pistoles à nos parents. Bien que nous voyagions à pied, nous ne laisserons pas d’aller loin avec cet argent. Qu’en pensez-vous ? Si j’en avais autant, lui répondis-je, Dieu sait où j’irais ! Je voudrais parcourir les quatre parties du monde. Comment diable ! deux cents pistoles ! c’est une somme immense ; vous n’en verrez jamais la fin. Si vous l’avez pour agréable, messieurs, ajoutai-je, j’aurai l’honneur de vous accompagner jusqu’à la ville d’Almerin, où je vais recueillir la succession d’un oncle qui, depuis vingt années environ, s’était établi là.

Les jeunes bourgeois me témoignèrent que ma compagnie leur ferait plaisir. Ainsi, lorsque nous nous fûmes tous trois un peu délassés, nous marchâmes vers Alcantara, où nous arrivâmes longtemps avant la nuit. Nous allâmes loger à une bonne hôtellerie. Nous demandâmes une chambre, et on nous en donna une où il y avait une armoire qui fermait à clef. Nous ordonnâmes d’abord le souper, et, pendant qu’on nous l’apprêtait, je proposai à mes compagnons de voyage de nous promener dans la ville ; ils acceptèrent la proposition. Nous serrâmes nos havre-sacs dans l’armoire, dont un des bourgeois prit la clef, et nous sortîmes de l’hôtellerie. Nous allâmes visiter les églises, et, dans le temps que nous étions dans la principale, je feignis tout à coup d’avoir une affaire importante. Messieurs, dis-je à mes camarades, je viens de me souvenir qu’une personne de Tolède m’a chargé de dire de sa part deux mots à un marchand qui demeure auprès de cette église. Attendez-moi, de grâce, ici ; je serai de retour dans un moment.

À ces mots, je m’éloignai d’eux. Je cours à l’hôtellerie, je vole à l’armoire, j’en force la serrure, et, fouillant dans les havre-sacs de mes jeunes bourgeois, j’y trouve leurs pistoles. Les pauvres enfants ! je ne leur en laissai pas seulement une pour payer leur gîte ; je les emportai