Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/413

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mieux entretenir notre mutuelle ardeur, tentons d’utiles conquêtes. Les infidélités que nous nous ferons deviendront des triomphes pour nous.

Cette convention faite, nous nous mîmes en campagne. Nous nous donnâmes d’abord de grands mouvements, sans pouvoir rencontrer ce que nous cherchions. Camille ne trouvait que des petits-maîtres, ce qui suppose des amants qui n’avaient pas le sou ; et moi, que des femmes qui aimaient mieux lever des contributions que d’en payer. Comme l’amour se refusait à nos besoins nous eûmes recours aux fourberies. Nous en fîmes tant et tant, que le corrégidor en entendit parler ; et ce juge, sévère en diable, chargea un de ses alguazils de nous arrêter ; mais l’alguazil, aussi bon que le corrégidor était mauvais, nous laissa le loisir de sortir de Madrid pour une petite somme que nous lui donnâmes. Nous prîmes la route de Valladolid, et nous allâmes nous établir dans cette ville. J’y louai une maison où je logeai avec Camille, que je fis passer pour ma sœur, de peur de scandale. Nous tînmes d’abord notre industrie en bride et nous commençâmes d’étudier le terrain avant que de former aucune entreprise.

Un jour, un homme m’aborda dans la rue, me salua très civilement, et me dit : Seigneur don Raphaël, me reconnaissez-vous ? Je lui répondis que non. Et moi, reprit-il, je vous remets parfaitement. Je vous ai vu à la cour de Toscane, et j’étais alors garde du grand-duc. Il y a quelques mois, ajouta-t-il, que j’ai quitté le service de ce prince. Je suis venu en Espagne avec un Italien des plus subtils ; nous sommes à Valladolid depuis trois semaines. Nous demeurons avec un Castillan et un Galicien, qui sont, sans contredit, deux honnêtes garçons. Nous vivons ensemble du travail de nos mains. Nous faisons bonne chère, et nous nous divertissons comme des princes. Si vous voulez vous joindre à nous, vous serez agréablement reçu de mes confrères ; car vous m’avez toujours paru un galant