Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/415

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allé à Burgos pour y faire quelque coup, un hôtelier de sa connaissance le mit au service du seigneur Gil Blas de Santillane, dont il n’oublia pas de lui apprendre les affaires. Seigneur Gil Blas, poursuivit don Raphaël en m’adressant la parole, vous savez de quelle manière nous vous dévalisâmes dans un hôtel garni de Valladolid ; je ne doute pas que vous n’ayez soupçonné Ambroise d’avoir été le principal instrument de ce vol, et vous avez eu raison. Il vint nous trouver en arrivant ; il nous exposa l’état où vous étiez, et messieurs les entrepreneurs se réglèrent là-dessus. Mais vous ignorez les suites de cette aventure ; je vais vous en instruire. Nous enlevâmes, Ambroise et moi, votre valise ; et, tous deux, montés sur vos mules, nous prîmes le chemin de Madrid, sans nous embarrasser de Camille ni de nos camarades, qui furent sans doute aussi surpris que vous de ne nous pas revoir le lendemain.

Nous changeâmes de dessein la seconde journée. Au lieu d’aller à Madrid, d’où je n’étais pas sorti sans raison, nous passâmes par Zebreros, et continuâmes notre route jusqu’à Tolède. Notre premier soin, dans cette ville, fut de nous habiller fort proprement ; puis, nous donnant pour deux frères galiciens qui voyageaient par curiosité, nous connûmes bientôt de fort honnêtes gens. J’étais si accoutumé à faire l’homme de qualité, qu’on s’y méprit aisément ; et, comme on éblouit d’ordinaire par la dépense, nous jetâmes de la poudre aux yeux de tout le monde par les fêtes galantes que nous commençâmes à donner aux dames. Parmi les femmes que je voyais, il y en eut une qui me toucha. Je la trouvai plus belle que Camille et beaucoup plus jeune. Je voulus savoir qui elle était ; j’appris qu’elle se nommait Violante, et qu’elle avait épousé un cavalier qui, déjà las de ses caresses, courait après celles d’une courtisane qu’il aimait. Je n’eus pas besoin qu’on m’en dît davantage, pour me déterminer à établir Violante dame souveraine de mes pensées.