Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/446

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l’argent que nous aurons. Ce n’est pas, ajouta-t-il, que je me serve sans remords d’un bien si mal acquis ; mais, outre que la nécessité m’y oblige, si jamais je fais la moindre fortune dans la guerre, je jure que je dédommagerai Samuel Simon. J’assurai don Alphonse que j’étais dans les mêmes sentiments, et nous résolûmes enfin de quitter nos camarades dès le lendemain avant le jour. Nous ne fûmes point tentés de profiter de leur absence, c’est-à-dire de déménager sur-le-champ avec la caisse ; la confiance qu’ils nous avaient marquée en nous laissant maîtres des espèces ne nous permit pas seulement d’en avoir la pensée, quoique le tour de l’hôtel garni eût en quelque manière rendu ce vol excusable.

Ambroise et don Raphaël revinrent de Ségorbe sur la fin du jour. La première chose qu’ils nous dirent fut que leur voyage avait été très heureux ; qu’ils venaient de jeter les fondements d’une fourberie, qui, selon toutes les apparences, nous serait encore plus utile que celle du soir précédent. Et là-dessus le fils de Lucinde voulut nous mettre au fait ; mais don Alphonse prit alors la parole, et leur déclara poliment que, ne se sentant pas né pour vivre comme ils faisaient, il était dans la résolution de se séparer d’eux. Je leur appris de mon côté que j’avais le même dessein. Ils firent vainement tout leur possible pour nous engager à les accompagner dans leurs expéditions : nous prîmes congé d’eux le lendemain matin, après avoir fait un partage égal de nos espèces, et nous tirâmes vers Valence.