Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/62

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occasion de t’échapper ; tu n’en trouveras jamais peut-être une plus favorable. Ces réflexions me remplirent de confiance ; je me levai ; je pris mon épée et mes pistolets, et j’allai d’abord à la cuisine ; mais avant que d’y entrer, comme j’entendis parler Léonarde, je m’arrêtai pour écouter. Elle parlait à la dame inconnue, qui avait repris ses esprits, et qui, considérant toute son infortune, pleurait alors et se désespérait. Pleurez, ma fille, lui disait la vieille, fondez en larmes, n’épargnez point les soupirs ; cela vous soulagera. Votre saisissement était dangereux ; mais il n’y a plus rien à craindre, puisque vous versez des pleurs. Votre douleur s’apaisera peu à peu, et vous vous accoutumerez à vivre ici avec nos messieurs, qui sont d’honnêtes gens. Vous serez mieux traitée qu’une princesse ; ils auront pour vous mille complaisances, et vous témoigneront tous les jours de l’affection. Il y a bien des femmes qui voudraient être à votre place.

Je ne donnai pas le temps à Léonarde d’en dire davantage. J’entrai ; et, lui mettant un pistolet sur la gorge, je la pressai d’un air menaçant de me remettre la clef de la grille. Elle fut troublée de mon action ; et, quoique très avancée dans sa carrière, elle se sentit encore assez attachée à la vie pour n’oser me refuser ce que je lui demandais. Lorsque j’eus la clef entre les mains, j’adressai la parole à la dame affligée. Madame, lui dis-je, le ciel vous a envoyé un libérateur, levez-vous pour me suivre ; je vais vous mener où il vous plaira que je vous conduise. La dame ne fut pas sourde à ma voix, et mes paroles firent tant d’impression sur son esprit, que, rappelant tout ce qui lui restait de forces, elle se leva, vint se jeter à mes pieds, en me conjurant de conserver son honneur. Je la relevai, et l’assurai qu’elle pouvait compter sur moi. Ensuite, je pris des cordes que j’aperçus dans la cuisine ; et, à l’aide de la dame, je liai Léonarde aux pieds d’une grosse table, en lui protestant que je la tuerais si elle poussait le moin-