Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/116

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derone. Je le saluai en baissant la tête jusqu’à terre, et lui demandant sa protection dans des termes dont je ne puis me souvenir sans honte, tant ils étaient pleins de soumission. Ma bassesse aurait tourné contre moi dans l’esprit d’un homme qui eût moins de fierté. Pour lui, il s’accommoda fort de mes manières rampantes, et me dit d’un air même assez honnête qu’il ne laisserait échapper aucune occasion de me faire plaisir.

Là-dessus, le remerciant avec de grandes démonstrations de zèle des sentiments favorables qu’il me marquait, je lui vouai un éternel attachement. Ensuite de peur de l’incommoder, je sortis en le priant de m’excuser si je l’avais interrompu dans ses importantes occupations. Sitôt que j’eus fait une si indigne démarche, je me retirai plein de confusion, et je gagnai mon bureau où j’achevai l’ouvrage qu’on m’avait chargé de faire. Le duc ne manqua pas d’y venir dans la matinée. Il ne fut pas moins content de la fin de mon travail qu’il l’avait été du commencement, et il me dit : Voilà qui est bien. Écris toi-même, le mieux que tu pourras, cette histoire abrégée sur le registre de Catalogne. Après quoi, tu prendras dans le portefeuille un autre mémoire, que tu rédigeras de la même manière. J’eus une assez longue conversation avec Son Excellence dont l’air doux et familier me charmait. Quelle différence il y avait d’elle à Calderone ! C’étaient deux figures bien contrastées.

Je dînai ce jour-là dans une auberge où l’on mangeait à juste prix, et je résolus d’y aller tous les jours incognito, jusqu’à ce que je visse l’effet que mes complaisances et mes souplesses produiraient. J’avais de l’argent pour trois mois tout au plus. Je me prescrivis ce temps-là pour travailler aux dépens de qui il appartiendrait, me proposant (les plus courtes folies étant les meilleures) d’abandonner après cela la cour et son clinquant, si je n’en recevais aucun salaire. Je fis donc ainsi