Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/129

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CHAPITRE VII.

Du bon usage qu’il fit de ses quinze cents ducats ; de la première affaire dont il se mêle, et quel profit il lui en revint.


Le roi, comme s’il eût voulu servir mon impatience, retourna dès le lendemain à Madrid. Je volai d’abord au trésor royal où je touchai sur-le-champ la somme contenue dans mon ordonnance. Il est rare que la tête ne tourne pas à un gueux qui passe subitement de la misère à l’opulence. Je changeai tout à coup avec la fortune. Je n’écoutai plus que mon ambition et ma vanité. J’abandonnai ma misérable chambre garnie aux secrétaires qui ne savaient pas encore la langue des oiseaux, et je louai pour la seconde fois mon bel appartement, qui par bonheur ne se trouvait point occupé. J’envoyai chercher un fameux tailleur qui habillait presque tous les petits-maîtres. Il prit ma mesure, et me mena chez un marchand, où il leva cinq aunes de drap qu’il fallait, disait-il, pour me faire un habit. Cinq aunes pour un habit à l’espagnole ! juste ciel !… Mais n’épiloguons pas là-dessus ; les tailleurs qui sont en réputation en prennent toujours plus que les autres. J’achetai ensuite du linge dont j’avais grand besoin, des bas de soie, avec un castor brodé d’un point d’Espagne.

Après cela, ne pouvant honnêtement me passer de laquais, je priai Vincent Forero, mon hôte, de m’en donner un de sa main. La plupart des étrangers qui venaient loger chez lui avaient coutume, en arrivant à Madrid, de prendre à leur service des valets espagnols, ce qui ne manquait pas d’attirer dans cet hôtel tous les laquais qui se trouvaient hors de condition. Le premier qui se présenta était un garçon d’une mine si