Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/136

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tèrent la plaie, et n’en eurent pas mauvaise opinion. Ils ne se trompèrent point dans leur conjecture ; ils guérirent même en assez peu de temps Estéphanie, qui accoucha fort heureusement d’un fils trois mois après cette cruelle aventure ; et c’est ce fils, seigneur Gil Blas, que vous voyez en moi ; je suis le fruit de ce triste enfantement.

Quoique la médisance n’épargne guère la vertu des femmes, elle respecta pourtant celle de ma mère, et cette scène sanglante ne passa dans la ville que pour le transport d’un mari jaloux. Il est vrai que mon père y était connu pour un homme violent, et fort sujet à prendre trop facilement ombrage. Hordalès jugea bien que sa parente le soupçonnait d’avoir troublé par des fables l’esprit de don Anastasio ; et, satisfait de s’être du moins à demi vengé d’elle, il cessa de la voir. De peur d’ennuyer Votre Seigneurie, je ne m’étendrai point sur l’éducation qu’on m’a donnée. Je dirai seulement que ma mère s’est principalement attachée à me faire apprendre l’escrime, et que j’ai longtemps fait des armes dans les plus célèbres salles de Grenade et de Séville. Elle attendait avec impatience que je fusse en âge de mesurer mon épée à celle de don Huberto, pour m’instruire du sujet qu’elle avait de se plaindre de lui ; et, me voyant enfin dans ma dix-huitième année, elle m’en fit confidence, non sans répandre des pleurs abondamment, ni paraître saisie d’une vive douleur. Quelle impression ne fait pas une mère en cet état sur un fils qui a du courage et du sentiment ! J’allai sur-le-champ trouver Hordalès ; je l’attirai dans un endroit écarté, où, après un assez long combat, je le perçai de trois coups d’épée, et le jetai sur le carreau.

Don Huberto, se sentant mortellement blessé, attacha sur moi ses derniers regards, et me dit qu’il recevait la mort que je lui donnais, comme une juste punition du crime qu’il avait commis contre l’honneur de ma mère. Il confessa que c’était pour se venger de ses