Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/200

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comme ils l’avaient formé. Le père, avec une émotion où il y avait en apparence de la colère et du dépit, dit à dona Helena : Ma fille, je ne vous dirai plus que nos parents me prient tous les jours de ne permettre jamais que le meurtrier de don Augustin entre dans notre famille ; j’ai aujourd’hui une raison plus forte à vous dire pour vous détacher de don Gaston. Mourez de honte de lui être si fidèle ! C’est un volage, un perfide. Voici une preuve certaine de son infidélité. Lisez vous-même cette lettre qu’un marchand de Coria vient de recevoir d’Italie.

La tremblante Hélène prend ce papier supposé, en fait des yeux la lecture, et pèse tous les termes, et demeure accablée de la nouvelle de mon inconstance. Un sentiment de tendresse lui fit ensuite répandre quelques larmes ; mais bientôt rappelant toute sa fierté ; elle essuya ses pleurs, et dit d’un ton ferme à son père : Seigneur, vous venez d’être témoin de ma faiblesse ; soyez-le aussi de la victoire que je vais remporter sur moi. C’en est fait, je n’ai plus que du mépris pour don Gaston ; je ne vois en lui que le dernier des hommes. N’en parlons plus. Allons, rien ne me retient plus ; je suis prête à suivre don Blas à l’autel. Que mon hymen précède celui du perfide qui a si mal répondu à mon amour ! Don George, transporté de joie à ces paroles, embrassa sa fille, loua la vigoureuse résolution qu’elle prenait, et, s’applaudissant de l’heureux succès du stratagème, il se hâta de combler les vœux de mon rival.

Dona Helena me fut ainsi ravie. Elle se livra brusquement à Combados, sans vouloir entendre l’amour qui lui parlait pour moi au fond de son cœur, sans douter même un instant d’une nouvelle qui aurait dû trouver dans une amante moins de crédulité. L’orgueilleuse n’écouta que sa présomption. Le ressentiment de l’injure qu’elle s’imaginait que j’avais faite à sa beauté l’emporta sur l’intérêt de sa tendresse. Elle eut pour-