Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/220

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ce discours, et ne manqua pas de me demander ce que c’était que ce prétendu service. Je le lui appris, et lui fis un détail qui redoubla son étonnement. Il était bien éloigné de penser, aussi bien que le baron de Steinbach, que le gouvernement de Valence lui eût été donné par mon crédit. Néanmoins, n’en pouvant plus douter : Gil Blas, me dit-il, puisque c’est à vous que je dois mon poste, je ne prétends point m’en tenir à la petite terre de Lirias. Je vous offre avec cela deux mille ducats de pension.

Halte-là, seigneur don Alphonse, interrompis-je en cet endroit. Ne réveillez pas mon avarice. Les biens ne sont propres qu’à corrompre mes mœurs ; je ne l’ai que trop éprouvé. J’accepte volontiers votre terre de Lirias ; j’y vivrai commodément avec le bien que j’ai d’ailleurs. Mais cela me suffit ; et, loin d’en désirer davantage, je consentirais plutôt de perdre tout ce qu’il y a de superflu dans ce que je possède. Les richesses sont un fardeau dans une retraite où l’on ne cherche que la tranquillité.

Pendant que nous nous entretenions de cette sorte, don César arriva. Il ne fit guère moins paraître de joie que son fils en me voyant ; et, lorsqu’il fut informé de l’obligation que sa famille m’avait, il me pressa d’accepter la pension ; ce que je refusai de nouveau. Enfin, le père et le fils me menèrent sur-le-champ chez un notaire, où ils firent dresser la donation, qu’ils signèrent tous deux avec plus de plaisir qu’ils n’auraient signé un acte à leur profit. Quand le contrat fut expédié, ils me le remirent entre les mains, en me disant que la terre de Lirias n’était plus à eux, et que j’en pourrais aller prendre possession quand il me plairait. Ils s’en retournèrent ensuite chez le baron de Steinbach ; et moi, je volai vers notre hôtel, où je ravis d’admiration mon secrétaire, lorsque je lui annonçai que nous avions une terre dans le royaume de Valence, et que je lui contai de quelle manière je venais de faire cette acqui-